Cass. Crim., 20 octobre 2020, n°19-86869
Par Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit,
Commentaire publié sur le site d’actualité du cabinet le 6 janvier 2021
Pas de condamnation pour conduite sans permis pour le conducteur qui obtient l’annulation de l’invalidation de son permis de conduire devant le tribunal administratif. Rien de neuf sous le soleil, la Cour de cassation vient rappeler dans cet arrêt du 20 octobre 2020 une jurisprudence désormais bien établie.
Plus rares que par le passé les arrêts s’inscrivant dans cette jurisprudence ne doivent pas faire oublier que le contentieux du permis à points a radicalement changé ces dernières années. Et c’est également pour cette raison que ces arrêts se font plus discrets, à la fois la règle de droit est (sauf exception…) bien connue des magistrats et surtout l’obtention d’une décision positive devant les juridictions administratives en matière de permis de conduire de conduire est bien plus ardue qu’il y a une dizaine d’années.
Pas de condamnation pour conduite malgré invalidation du permis de conduire si annulation de la décision administrative
De quoi parle-t-on exactement ?
Un conducteur qui voit son solde de points de permis de conduire tomber à 0 reçoit normalement un courrier recommandé 48SI l’information de l’invalidation de son titre de conduite. Il dispose alors d’un délai de 10 jours pour restituer son permis aux autorités. Ce délai de 10 jours ne lui autorise d’ailleurs pas la poursuite de la conduite, il s’agit simplement d’un délai de « commodité » accordé à un conducteur par définition moins mobile que d’habitude. A partir de la réception du courrier 48SI, l’intéressé ne peut plus conduire. La plupart du temps, le conducteur en proie à une invalidation de permis de conduire pourra retrouver le guidon ou le volant après 6 mois (à compter de la restitution du titre) en ne passant que les épreuves théoriques (le « code », les permis probatoires notamment ne pourront toutefois pas prétendre à la dispense des épreuves pratiques). En cas de précédente invalidation dans les 5 ans précédant, le délai de 6 mois passe à un an.
Comme n’importe quelle décision administrative, la décision d’invalidation de permis de conduire peut être contestée. L’intéressé peut saisir le Bureau National des Droits à Conduire (BNDC) ou se tourner vers le tribunal administratif.
Quel que soit l’interlocuteur le simple envoi d’un courrier recommandé ou le dépôt d’un recours ne permettra pas à l’intéressé de poursuivre la conduite. Le recours n’est pas en soi « suspensif ». Pour pouvoir reprendre le volant rapidement, l’intéressé pourra envisager une procédure de référé suspension par laquelle il sera demandé au juge de suspendre l’exécution de la décision attaquée (l’invalidation du permis de conduire matérialisée par le fameux courrier recommandé 48 SI) le temps que l’affaire soit tranchée au fond. En d’autres termes on sollicite le droit de conduire pendant la procédure : au juge de répondre favorablement ou non à une telle demande.
Seulement voilà, certains conducteurs n’hésitent pas à reprendre le volant. Certains estiment ne pas avoir d’autre choix sous peine de perdre leurs emplois ou de voir leur activité péricliter, d’autres estiment être dans leur bon droit du fait d’une éventuelle erreur administrative (et on pourra notamment penser à l’espèce du 20 octobre 2020 avec la non prise en compte d’un stage se sensibilisation à la sécurité routière) et d’autres encore n’ont pas véritablement besoin de raison pour violer l’interdit…
Parmi ceux qui reprendront le volant, certains se feront contrôler (et nous ne parlerons pas de ceux qui malheureusement seront impliqués dans un accident…), se posera alors parfois la question au cœur de cet arrêt :quid si le permis de conduire est toutefois récupéré par l’intéressé après l’annulation de la décision ?
C’est à cette question que vient donc répondre la Chambre criminelle dans son arrêt du 20 octobre 2020 :
« Vu l’article L. 223-5 du code de la route et le principe de légalité des délits et des peines :
4. L’annulation par la juridiction administrative d’un acte administratif implique que cet acte est réputé n’avoir jamais existé et prive de base légale la poursuite engagée pour violation de cet acte.»
La réponse apportée par la Cour de cassation ne relève en rien de la nouveauté. On pourra, par exemple, relire les attendus d’un arrêt rendu le 12 décembre 2012 et réaliser que la chambre criminelle ne modifie en rien sa position
« Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation du principe d’autorité de la chose jugée par la juridiction administrative ; Vu l’article L. 223-5 du code de la route, ensemble le principe de l’autorité de la chose jugée par la juridiction administrative ;
Attendu que l’annulation par la juridiction administrative d’un acte administratif implique que cet acte est réputé n’avoir jamais existé et prive de base légale la poursuite engagée pour violation de cet acte… »
Dans l’affaire de 2012, l’invalidation du permis de conduire avait été annulée par la Cour administrative d’appel de Nancy (et la chose ne risque plus de se reproduire puisque l’appel a depuis été supprimé en matière de contentieux du permis à points) et « cette annulation a pour conséquence d’enlever toute base légale à la poursuite et à la condamnation qui est intervenue » (Crim., 12 décembre 2012, n°12-82919).
Les amateurs de jurisprudence pourront également examiner un arrêt de la Cour de cassation du 16 novembre 2010 n° 10-83.622 (toujours pour un délit de conduite malgré injonction préfectorale de restitution du permis de conduire).
Loin de moi, l’idée de refaire l’histoire de la jurisprudence administrative (nous ne remonterions toutefois pas bien loin puisque la conduite malgré invalidation n’est devenue un délit qu’en 2003), néanmoins cet arrêt du 16 novembre 2010 me donne l’occasion de parler d’un autre arrêt rendu par la Chambre criminelle le même jour. Les faits de cette seconde espèce ne concernent pas spécifiquement le contentieux du permis à points (mais l’automobile n’est pas bien loin puisqu’il y est question de circuit… automobile) mais permettent de bien comprendre que la règle s’applique bien plus largement…
Cass. Crim., 16 novembre 2010 n° 10-81.740
« Vu l’article R. 1137-6 du code de la santé publique, ensemble le principe de l’autorité de la chose jugée par la juridiction administrative ; Attendu que l’annulation par la juridiction administrative d’un acte administratif implique que cet acte est réputé n’avoir jamais existé et prive de base légale la poursuite engagée pour violation de cet acte ; Attendu que M. X…, gérant d’une société commerciale exploitant un circuit automobile, a été poursuivi pour avoir contrevenu aux conditions d’exercice de cette activité relatives au bruit définies par un arrêté du maire de Saint-Dié-des-Vosges en date du 22 août 2007 ; que le 16 décembre 2008, le tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté ; Attendu que, pour écarter le moyen tiré par le prévenu de cette annulation et confirmer le jugement l’ayant déclaré coupable, la cour d’appel énonce que l’acte administratif tenant lieu de fondement aux poursuites était exécutoire au moment des faits ; Mais attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ; D’où il suit que la cassation est encourue »
Je termine ce bref rappel de jurisprudence avec un arrêt intéressant de 2014 qui rappelle que la solution, à savoir la privation de base légale du fait de l’annulation de la décision d’invalidation, s’applique également lorsque c’est l’administration elle-même qui procède au retrait de l’acte administratif. (Cass. Crim., 4 mars 2014, n° de pourvoi 13-82078)
En d’autres termes, il ne sera pas possible à une juridiction de condamner un automobiliste ou un motard pour conduite malgré invalidation à partir du moment où le Bureau National des Droits à Conduire fait droit à un recours gracieux.
Mais au fait un permis de conduire récupéré comment ?
Si l’issue de cette affaire au pénal ne faisait guère de doute (même si l’intéressé a dû quand même élever le débat jusqu’en cassation…), une question demeurait en suspens : pour quelle raison la décision d’invalidation du permis a-t-elle été annulée ?
Dans l’affaire du 20 octobre 2020, le conducteur avait suivi un stage de sensibilisation à la sécurité routière qui aurait dû normalement lui permettre l’ajout de 4 points sur son permis de conduire. La préfecture n’avait cependant pas pris en compte ce stage pour la bonne et simple raison qu’un courrier d’invalidation, le fameux courrier recommandé 48SI avait été envoyé à l’intéressé avant le suivi du stage.
L’administration rapportait effectivement la preuve de l’envoi du courrier d’invalidation, rien de plus simple avec un recommandé, mais à y regarder de plus prêt : le pli avait été adressé à une adresse erronée. N’ayant pu être distribué, le pli avait été retourné à l’expéditeur après qu’il y eut été apposée la mention NPAI : « N’habite Pas à l’Adresse Indiquée ».
Dans son arrêt du 20 octobre 2020, la Chambre criminelle mentionne un « jugement par lequel le tribunal administratif, considérant que la décision 48 SI constatant la perte de validité du permis de conduire de M. S…, pour solde de points nul, avait fait l’objet d’une notification irrégulière (…) de sorte qu’en avril 2017 M. S…, resté titulaire d’un permis de conduire, pouvait effectuer un stage de sensibilisation à la sécurité routière, »
Encore une fois, rien de neuf sous le soleil, le tribunal administratif fait application de la jurisprudence du Conseil d’État en la matière. On peut, par exemple, citer un arrêt du 25 avril 2017 (CE n° 400077) et surtout rappeler aux conducteurs qu’une notification irrégulière d’une invalidation de permis de conduire ne les prive pas de la possibilité de suivre un stage et de prétendre au bénéfice de 4 points qui permettront peut être de sauver leurs permis.
On soulignera, par contre, que la majoration du capital de points pourra prendre du temps avec même parfois un stage qui ne sera jamais enregistré par l’administration, l’intéressé devra alors prendre les devants et ne pas hésiter à saisir le Bureau National des Droits à Conduire de cette difficulté. On rappellera sur ce point qu’une décision administrative défavorable doit être contestée dans les 2 mois, et que le silence gardé par le Bureau National des Droits à Conduire pendant 2 mois vaut décision de rejet implicite et que ce refus devra lui même être contesté dans les 2 mois devant la juridiction administrative…
Pour finir, il est important de rappeler que ce conducteur n’a pu échapper à une condamnation pénale que parce qu’un tribunal administratif avait annulé la décision d’invalidation de permis de conduire prononcée à son encontre. Or ces décisions se font de plus en plus rares, le contentieux du permis à points est aujourd’hui un contentieux du « cas par cas ». Tous les conducteurs confrontés à une invalidation de permis de conduire ne doivent pas espérer pouvoir engager une procédure devant un tribunal administratif pour pouvoir récupérer le précieux carton rose quelques semaines après et ce même avec un avocat. Par contre un avocat praticien de ce contentieux pourra éclairer les conducteurs sur les chances de succès d’un éventuel recours.
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