En cas de défaut de livraison d’un véhicule malgré un bon de commande en bonne et due forme, un constructeur automobile ou un importateur automobile s’expose au risque de devoir indemniser le client, parfois bien au-delà du prix neuf affiché.
Par Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit
Directeur scientifique des Etats Généraux du Droit Automobile
Si les problèmes des délais et des conditions de livraison des véhicules neufs concernent aujourd’hui presque l’ensemble des consommateurs avec d’importants problèmes d’approvisionnement, la question de la livraison effective du véhicule peut parfois prendre des proportions importantes lorsque le véhicule en question est commercialisé par un constructeur prestigieux et dans des quantités limitées.
La liste d’attente : passage obligé pour prendre le volant d’une belle Ferrari ou d’une bestiale Lamborghini
La pratique est désormais courante chez les constructeurs pouvant se prévaloir d’un beau blason d’annoncer la production d’un modèle ultra sportif ou extrêmement luxueux en quantité limitée. Ce qui est rare est cher, et permet également d’entretenir un buzz médiatique autour de ces lancements.
Du côté des acheteurs, la quantité limitée renforce encore l’attrait d’un modèle rendu encore plus exclusif et qui garantira également une cote élevée du modèle.
Des supercars en quantités limitées
Pour les véhicules les plus convoités, l’opération pourra même se révéler financièrement très avantageuse avec des cotes qui peuvent parfois s’envoler est largement dépasser le prix de vente initial.
Les heureux automobilistes qui ont le porte-monnaie assez épais pour s’offrir la dernière Ferrari ou la nouvelle Lamborghini ne devons pas seulement sortir le carnet de chèques mais devront prendre leur mal en patience. La liste d’attente est parfois longue avant de pouvoir se faire livrer le modèle tant attendu.
Ce qui est vrai chez les constructeurs italiens l’est aussi chez Porsche qui utilise régulièrement ces productions en petites séries avec parfois un clin d’œil à la numérotation du modèle. Cela a été le cas avec la Porsche 918.
Porsche France indiquait à l’époque :
« Pour assurer le caractère exclusif de la 918 Spyder, cette biplace est limitée à 918 exemplaires. Plus tôt les commandes seront passées, plus tôt les voitures seront livrées, la production étant lancée dans l’ordre d’arrivée des commandes. Les premières 918 Spyder devraient être assemblées à compter du 18 septembre 2013 (9/18 en date américaine) dans un atelier spécifique du site de production historique Porsche à Stuttgart-Zuffenhausen. La livraison des premiers exemplaires aura lieu à compter de novembre 2013. »
Pas de Porsche 918 pour tout le monde
Avec un modèle déjà culte avant la commercialisation et seulement 918 exemplaires on comprendra vite que tous les porschistes n’ont pas pu être satisfaits. Mais même avec un bon de commande et un chèque d’acompte, le fan de la marque au blason n’est pas à l’abri… C’est ce que montrent les mésaventures et surtout le parcours judiciaire de ce client qui signe un bon de commande le 21 novembre 2014 pour l’achat d’une Porsche 918 Spider au prix TTC de 780’000 € et pour lequel il verse un acompte par chèque de 150’000 €.
On retrouve sur le bon de commande différentes mentions assez classiques sur les caractéristiques du véhicule commandé, et également une mention au titre de la rubrique « observations » : « sous réserve de la disponibilité du véhicule ». Néanmoins la case relative à la date de livraison est complétée et indique une livraison au plus tard le 10 octobre 2015.
Mais le 16 novembre 2015, Porsche envoie à son client un courrier recommandé lui confirmant que « l’usine Porsche est dans l’incapacité de fournir le véhicule objet de la commande ci-dessous et nous le regrettons ».
Pour Porsche la mention « sous réserve de disponibilité » prime
Porsche France se réfugie derrière la mention ‘sous réserve de disponibilité du véhicule’. Pour le constructeur « le bon de commande respecte les exigences légales (…) le client a bénéficié d’une information suffisante (….) la vente était ainsi soumise à une condition suspensive. »
Porsche fait également valoir qu’elle a proposé à M X un véhicule équivalent en février 2016 et qu’il ne lui a pas répondu.
Porsche explique « que le modèle était fabriqué en série limitée à 918 exemplaires pour le monde entier et que l’appelant ne l’ignorait pas dans la mesure où il l’indique lui-même dans son assignation en exposant qu’il était un fidèle connaisseur de la marque ; qu’à la date de la commande, la société était en fin de commercialisation, ce que Monsieur X savait également pour l’indiquer dans ses écritures de première instance ; que la condition de disponibilité ne dépendait pas seulement de la société, mais du nombre de commandes passées dans le monde par les clients et que ce chiffre ne pouvait être connu au jour de la signature du bon de commande. »
Un bon de commande aux mentions contradictoires
La Cour d’appel d’Aix en Provence dans son arrêt du 23 novembre 2021 (arrêt n° 19/02214) ne manque pas de pointer du doigt les incohérence entre les mentions présentes sur le bon de commande avec :
« — une mention inscrite ‘in fine’ des caractéristiques du véhicule ‘ sous réserve de disponibilité du véhicule’
— et une case intitulée ‘date de livraison’ dûment complétée avec la date du 10 octobre 2015.
A côté de la case ‘date de livraison’ figure également une case ‘ observations’ qui n’est pas remplie. »
Les juges d’appel soulignent que « quelles que soient les connaissances (du client) en ce qui concerne les véhicules vendus par la société Porsche, il est certain que la mise en perspective de ces deux informations porte, en elle-même, une contradiction sur laquelle le client n’a pas été éclairé dès lors, d’une part, que la date de mise à disposition du véhicule est annoncée comme sûre et d’autre part, que la mention de l’absence de garantie de disponibilité affecte le principe de la vente d’un aléa indiscutable qui contredit donc le principe d’une livraison à date déterminée. »
Pas de mentions sur la documentation contractuelle du nombre d’exemplaires
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence retiendra encore qu’à aucun moment, il n’est mentionné que le véhicule est fabriqué en série limitée ; « le nombre d’exemplaires n’est donc pas non plus précisé et la référence à la notion de disponibilité, qui suppose un stock, n’est pas compatible avec celle de véhicules qui comme, en l’espèce, sont mis en fabrication sur commande du client en fonction de ses options. »
L’indemnisation d’un préjudicie patrimonial
La société Porsche France et le Centre Porsche Antibes ont été notamment condamnées in solidum à verser à ce consommateur une somme de 400 000 € correspondant au manque à gagner lié à l’absence de livraison du véhicule qui a vu sa côte s’envoler.
La Cour d’appel d’Aix en Provence se réfère à « la côte du véhicule telle que donnée par le journal spécialisé de la marque Porsche produit en pièce 8 du dossier de l’appelant n’est pas contestée par les intimées et que cette côte démontre la réalité d’un préjudice patrimonial subi par M X, puisque le véhicule Porsche en litige y est évalué en 2016 à 1 200 000€, »
Ce porschiste n’aura donc pas goûté au plaisir de conduite procuré par cette très désirable Porsche 918 Spider, mais peut être qu’avec un peu plus de 400 000 euros il pourra trouver et surtout prendre possession d’une autre supercar…
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