Pneumatiques usés, craquelés, boursouflés, ou trop vieux… une telle découverte peut-elle permettre de remettre en cause la vente d’un véhicule en envisageant une action fondée sur la garantie légale des vices cachés ou l’obligation de délivrance conforme ??? Réponse jurisprudence à l’appui avec Me le Dall, Avocat en droit automobile, Directeur scientifique des Etats Généraux du droit automobile.
Avec l’augmentation du diamètre des jantes, le changement de deux trains de pneus peut représenter une addition non négligeable pour celui ou celle qui vient déjà de faire l’acquisition d’un nouveau véhicule. L’usure prématurée d’un pneumatique peut également être le signe de problèmes bien plus graves et donc bien plus coûteux.
Mais un défaut en matière de pneumatique justifie-t-il la remise en question de la vente ?
On réagit vite !
Premier conseil, au premier abord pas forcément très juridique mais qui tient du bon sens : on se dépêche ! Après avoir identifié un problème de pneumatiques : usure, mauvais montage, mauvaise référence, mauvais indice de vitesse… l’acheteur devra réagir vite. En continuant à utiliser son véhicule, il prend déjà un risque en termes de sécurité routière pour lui, ses passagers et les autres usagers de la route, et plus le temps passe plus les traces d’une usure ou d’un défaut antérieur à la vente vont disparaître. Se posera même la question de savoir si les pneumatiques étaient bien ceux qui équipaient le véhicule au moment de sa vente.
Ces quelques premières remarques permettent également de mettre le doigt sur une difficulté majeure pour celui qui souhaiterait faire jouer la garantie légale des vices cachés : le défaut qui affecte l’automobile doit remettre en cause son usage. Le défaut ou l’avarie doit donc être significatif. Un défaut sur un élément d’usure, ou sur ce que certains professionnels qualifient de « consommables » permettra difficilement de faire jouer la garantie légale des vices cachés…
Comme un pneu au milieu de la figure : un vice apparent
Le mécanisme des vices cachés implique la présence d’un défaut antérieure à la vente et un défaut non visible par le futur acheteur. A la différence d’un élément de mécanique difficile à observer sans démontage et dont le bon ou le mauvais fonctionnement n’est pas forcément perceptible pour le profane, l’état d’un pneumatique est visible à l’œil nu et même un néophyte comprendra qu’une boursouflure sur le flanc d’un pneu est plutôt mauvais signe…
C’est la problématique de l’apparence du défaut qui va conduire de nombreuses juridictions à écarter la garantie légale des vices cachés en matière de pneumatiques.
La position de la Cour d’appel de Colmar est, ainsi, limpide sur cette question : « l’usure des pneus, au demeurant apparente, ne peut caractériser un vice caché » (arrêt du 12 juin 2017).
On pourra également, par exemple, citer un arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai (ch. 1 sec 1,) le 22 novembre 2018 : « le défaut est en relation directe avec celui, visible et de surcroît mentionné sur le procès-verbal (…), de l’usure irrégulière des pneumatiques avant gauche et avant droit, cette usure apparente étant révélatrice d’un défaut interne dont l’acquéreur, même profane, était en mesure de se convaincre. Il s’agit donc là d’un vice apparent qui ne peut entrer dans le champ de la garantie des vices cachés. »
Le caractère apparent interdira donc la mise en œuvre de la garantie légale des vices cachés même en présence d’un rapport de contrôle technique totalement muet sur l’état des pneumatiques. C’est ce que jugeait par exemple la Cour d’appel de Pau (1ère ch.) dans un arrêt du 20 décembre 2018 : « certes, le contrôle technique (…) n’a pas relevé de défaut à corriger sans contre-visite, mais l’état général d’usure normale du véhicule aurait dû amener l’acquéreur à faire preuve de vigilance avant la vente : ainsi l’expert relève que les pneumatiques avant sont usés dissymétriquement, ce que tout automobiliste est capable de constater par lui-même ».
Et en présence d’usure sur l’intérieur du pneu ?
Si réellement le défaut affectant le pneumatique est situé sur une partie non visible sans recours à un dispositif particulier, le mécanisme de la garantie légale des vices cachés retrouve vocation à s’appliquer. Attention le caractère apparent peut également découler d’une mention sur le rapport de contrôle technique.
C’est ce que vient encore de rappeler la Cour d’appel d’Orléans le 29 avril 2019 : « l’usure irrégulière des pneus avant droit et gauche était précisée dans le procès-verbal de contrôle technique délivré à l’acheteur lors de la vente. La question de savoir si l’acquéreur, en situation d’invalidité, pouvait matériellement déceler cette usure irrégulière des pneus est donc indifférente, car un professionnel du contrôle technique avait accompli cette vérification à sa place et ses conclusions étaient portées à sa connaissance lors de la vente. Ce défaut n’était donc pas caché lors de la vente ».
Une apparence du vice qui peut se limiter au pneumatique
Parfois l’usure irrégulière d’un pneumatique appellera bien d’autres interventions qu’un simple changement de train de pneus. Cette usure peut être le signe d’autres avaries bien plus importantes et coûteuses pour le nouveau propriétaire.
Les juridictions retiendront alors le caractère apparent des vices affectant le véhicule. C’est notamment ce qu’a jugé récemment la Cour d’appel de Versailles (3ème ch.) le 24 janvier 2019 à propos de la vente d’un Volkswagen Transporteur : « il y a lieu de juger en conséquence que le véhicule était affecté d’un vice lors de la vente, que ce vice était caché ( l’usure des pneus étant apparente mais non celle du dérèglement du train) et non décelable par l’acquéreur. Il rend le véhicule impropre à son usage puisque l’expert le tient pour dangereux. »
La garantie légale des vices cachés n’est toutefois pas le seul outil qui pourrait permettre à un acheteur insatisfait de se retourner contre son vendeur.
Obligation de délivrance et défaut de conformité : le bon pneu !
Même si le législateur est en pratique encore loin d’imposer aux conducteurs français de chausser des pneus hiver lorsque le thermomètre chute, les premiers arrêtés relatifs aux équipements des véhicules en période hivernale (par exemple l‘arrêté préfectoral n°25-2021-2900004 du 29 juillet 2021 dans le Doubs) vont certainement inciter de nombreux conducteurs à anticiper leurs investissements en la matière avec pourquoi pas la livraison d’un véhicule monté en pneus toutes saisons, ou directement en monte hiver, ou pourquoi pas la livraison d’un second jeu de pneumatiques…
Dans ces hypothèses, les spécificités souhaitées par l’acheteur seront mentionnées sur le bon de commande ou la documentation contractuelle. Le vendeur qui ne livrerait pas le véhicule équipé conformément à ces prévisions contractuelles ne satisferait pas à son obligation de délivrance.
Bien sûr ces considérations valent pour l’obligation de délivrance ou pour la garantie de conformité et ne concernent pas que les pneumatiques hiver et pas que les voitures particulières !
On pourra, par exemple, citer, dans un domaine très proche de l’automobile : le karting, un arrêt de la Cour d’appel de Rennes de la Cour d’appel de Rennes (2ème ch.) du 4 octobre 2019 : « le train de pneus prévu également dans la convention des parties n’a jamais été livré par la société dans le délai de 15 jours stipulé dans la facture du 8 mai 2014. Ce faisant, le défaut de conformité est établi dès lors que la chose vendue ne correspond pas à celle convenue sur le contrat de réservation»
Des pneumatiques de marque
Le consommateur peut également souhaiter le montage d’une marque ou d’un modèle de pneumatiques particulier. L’acheteur insatisfait à la livraison de son véhicule après avoir constaté la présence d’un autre modèle pourra appuyer un éventuel recours sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Caen (2ème ch. Civ) le 6 septembre 2018 : « s’agissant de la conformité des pneus à la commande, il est constant que le bon de commande comporte la mention ‘pneus Michelin’ alors que le véhicule a été livré avec des pneus d’une autre marque. Dès lors, il n’y a pas à rechercher si les pneus livrés sont d’une qualité équivalente aux pneus commandés et la circonstance que (l’acheteur) a utilisé le véhicule depuis le mois de juillet 2015 avec les pneus montés ne constitue pas une renonciation au droit de se prévaloir de la non-conformité des éléments livrés à la commande.»
Les bonnes dimensions
L’obligation de délivrance porte bien évidement sur les dimensions de la jante et du pneumatique. Une espèce récemment examinée par la Cour de cassation permettra au lecteur de saisir l’importance pour le vendeur de livrer un véhicule conforme aux normes constructeurs. Dans cet arrêt d’octobre 2018, la chambre civile a suivi la Cour d’appel de Paris qui avait jugé que « les quatre pneus jantes et ressorts de suspension du véhicule n’étaient pas conformes aux indications du constructeur, ce qui rendait le véhicule dangereux à la circulation, d’autre part, que ces non-conformités en ce qu’elles supposaient une intervention, antérieure à la vente, sur le véhicule qu’il avait acquis neuf, étaient nécessairement connues du vendeur dont la mauvaise foi résultait de la mention portée sur le certificat de cession que le véhicule n’avait pas subi de transformation notable susceptible de modifier les indications du certificat de conformité ou de la carte grise ; que, de ces énonciations et constatations dont il résultait que la chose vendue était affectée de non-conformités, la cour d’appel a exactement déduit que le vendeur n’avait pas satisfait à son obligation de délivrance». (Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 octobre 2018, n°16-19858)
Le coup de la roue de secours !
Les spécialistes insistent sur la nécessité de monter des pneumatiques identiques sur un même essieu : même marque, même modèle et bien sûr même état d’usure. C’est pour cette raison qu’en cas de crevaison (et pour laquelle la pose d’une mèche n’est pas envisageable), l’automobiliste malheureux n’aura d’autre choix que de changer les deux pneumatiques. Une tolérance peut être admise en cas de destruction d’un pneumatique quasi neuf : l’automobiliste pourra ne changer qu’un seul pneumatique. Mais de genre de considérations ne concerne que les véhicules deux-roues motrices ; pour un 4×4, le changement de pneumatiques porte sur toutes les roues… Et la jurisprudence sait en tirer les conséquences.
C’est, par exemple, ce que fit la Cour d’appel de Reims dans un arrêt du 15 décembre 2020 à propos d’un Land Rover Discovery : «l’achat d’un véhicule d’occasion ne suppose pas qu’il soit équipé de pneumatiques neufs, mais de pneumatiques qui permettent à l’acheteur de repartir avec le véhicule dans des conditions de sécurité suffisante, sans que leur remplacement soit immédiatement nécessaire. Il résulte de la plainte de M. X dès le 3 décembre 2017 et des observations de l’examen contradictoire amiable que les pneumatiques arrière du véhicule n’étaient pas conformes à l’usage immédiat habituellement attendu. Par ailleurs, M. X justifie de ce que, sur un 4 x 4, les garages remplacent les quatre pneus en même temps, pour éviter des vitesses de rotation différentes entre l’avant et l’arrière. Par suite, le premier juge a, à raison, condamné la société à payer à M. X la somme de 982,35 euros correspondant au remplacement des quatre pneumatiques, au titre du défaut de conformité.»
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