Un décret du 21 juillet 2022 vient de faire une place dans notre droit national à un amendement à la Convention de Vienne sur la circulation routière adopté en début d’année le 14 janvier 2022. Retour, avec Maître Jean-Baptiste le Dall, sur ces évolutions récentes qui mettent, petit à petit, à jour les réglementations nationales et internationales pour permettre la circulation demain ou après-demain de véhicules autonomes sur nos routes.
Une profusion de textes pour construire un cadre juridique au véhicule autonome en France
En matière de véhicule autonome, la France est loin d’être en retard niveau juridique. En tant que pays de constructeurs automobiles, la France ne pouvait rester sur le bord du chemin. Les pouvoirs publics ont dans un premier temps mis en place un cadre juridique temporaire permettant la circulation à titre expérimental sur nos routes des premiers prototypes (et notamment ceux élaborés par nos champions nationaux, PSA et Renault).
Et l’année passée a vu l’arrivée de deux textes qui ont véritablement donné corps (en tout cas dans les textes et dans les Codes, Code de la route et Code des transports) à un environnement juridique dédié au véhicule autonome et à la délégation de conduite:
- Ordonnance n°2021-443 du 14 avril 2021 relative au régime de responsabilité pénale applicable en cas de circulation d’un véhicule à délégation de conduite
- Décret n° 2021-873 du 29 juin 2021 portant application de l’ordonnance n° 2021-443 du 14 avril 2021 relative au régime de responsabilité pénale applicable en cas de circulation d’un véhicule à délégation de conduite et à ses conditions d’utilisation
Articulation entre responsabilité pénale du conducteur et responsabilité du constructeur
L’Ordonnance n°2021-443 du 14 avril 2021 relative au régime de responsabilité pénale applicable en cas de circulation d’un véhicule à délégation de conduite est venue préciser comment fonctionnera le partage de responsabilité en cas d’infraction ou d’accident: qui du codnucteur ou du contruscteur sera tenu responsable? Pour ce faire, le Code de la route a été modifié avec notamment deux articles désormais incontournables sur cette question de la délgation de conduite.
Article L.123-1 du Code de la route
« Les dispositions du premier alinéa de l’article L. 121-1 ne sont pas applicables au conducteur, pour les infractions résultant d’une manœuvre d’un véhicule dont les fonctions de conduite sont déléguées à un système de conduite automatisé, lorsque ce système exerce, au moment des faits et dans les conditions prévues au I de l’article L. 319-3, le contrôle dynamique du véhicule.
Le conducteur doit se tenir constamment en état et en position de répondre à une demande de reprise en main du système de conduite automatisé.
Les dispositions du premier alinéa de l’article L. 121-1 sont à nouveau applicables :
1° Dès l’instant où le conducteur exerce le contrôle dynamique du véhicule à la suite d’une reprise en main de celui-ci ;
2° En l’absence de reprise en main du véhicule par le conducteur à l’issue de la période de transition faisant suite à une demande du système de conduite automatisé dans les conditions prévues au II de l’art.L. 319-3 ;
3° Au conducteur qui ne respecte pas les sommations, injonctions ou indications données par les forces de l’ordre ou les règles de priorité de passage des véhicules d’intérêt général prioritaires prévues au présent code.
Article L123-2 du Code de la route
Pendant les périodes où le système de conduite automatisé exerce le contrôle dynamique du véhicule conformément à ses conditions d’utilisation, le constructeur du véhicule ou son mandataire, au sens de l’article 3 du règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018, est pénalement responsable des délits d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne (…) lorsqu’il est établi une faute, au sens de l’article 121-3 du même code.
Sauf dans les cas prévus au 3° de l’article L. 123-1, lorsqu’une manœuvre effectuée par le système de conduite automatisé exerçant le contrôle dynamique du véhicule conformément à ses conditions d’utilisation contrevient à des règles dont le non-respect constitue une contravention, le constructeur du véhicule ou son mandataire (…) est redevable pécuniairement de l’amende encourue.
Le choix d’un vocabulaire spécifique
Même si la France est historiquement l’une des terres sacrées de l’automobile, il serait naif de penser que les réflexions autour du véhicule autonome en France allaient se mener sans faire appel aux termes anglo-saxons. Néanmoins, les juristes ont pu rapidemment regretter quelques approximations liées à la traduction prfois approximatives des termes anglais en matière de délégation de conduite (le lecteur aura noté que j’utilise volontairement une expression franco-française 😉 !)
En termes de vocabulaire, le Code de la route français renferme parmi ses très nombreuses pages un article qui s’apparente à un véritable dictionnaire des engins motorisés (ou pas) circulant sur nos routes. Il s’agit de l’article R.311-1 du Code de la route qui en 2021 a été complété pour désormais offrir lui aussi une définition juridique du véhicule autonome. La mise à jour des dispositions de l’article R. 311-1 du Code de la route est intéressante puisqu’elle permet aux juristes français de se défaire de la terminologie anglo-saxonne. Plus sérieusement, le vocabulaire retenu par les pouvoirs publics français est intéressant puisqu’il permet de raisonner sans faire appel à la classification américaine élaborée par la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration) qui comporte 5 niveaux d’autonomie allant de 0 à 4. Une autre classification celle de l’OICA, l’Organisation internationale des constructeurs automobiles propose 6 niveaux, avec 1 niveau de plus que la classification NHTSA. La réglementation française avec les dispositions de l’article R 311-1 du Code de la route propose donc une grille de lecture différente :
« 8. Véhicule à délégation de conduite : véhicule à moteur des catégories M, N, L, T ou C, telles que définies aux 1,2,4 et 5.1, ou navette urbaine telle que définie au 6.13, équipé d’un système de conduite automatisé.
Article R 311-1 du Code de la route
« Le véhicule à délégation de conduite peut être partiellement, hautement ou totalement automatisé ;
« 8.1. Véhicule partiellement automatisé : véhicule équipé d’un système de conduite automatisé exerçant le contrôle dynamique du véhicule dans un domaine de conception fonctionnelle particulier, devant effectuer une demande de reprise en main pour répondre à certains aléas de circulation ou certaines défaillances pendant une manœuvre effectuée dans son domaine de conception fonctionnelle ;
« 8.2. Véhicule hautement automatisé : véhicule équipé d’un système de conduite automatisé exerçant le contrôle dynamique d’un véhicule dans un domaine de conception fonctionnelle particulier, pouvant répondre à tout aléa de circulation ou défaillance, sans exercer de demande de reprise en main pendant une manœuvre effectuée dans son domaine de conception fonctionnelle. Ce véhicule peut être intégré dans un système technique de transport routier automatisé tel que défini au 1° de l’article R. 3151-1 du code des transports ;
« 8.3. Véhicule totalement automatisé : véhicule équipé d’un système de conduite automatisé exerçant le contrôle dynamique d’un véhicule pouvant répondre à tout aléa de circulation ou défaillance, sans exercer de demande de reprise en main pendant une manœuvre dans le domaine de conception technique du système technique de transport routier automatisé auquel ce véhicule est intégré, tels que définis aux 1° et 4° de l’article R. 3151-1 du code des transports. »
Toujours en termes de vocabulaire, les précisions apportées par l’ordonnance du 14 avril 2021 sont également intéressantes lorsqu’elles envisagent l’articulation des responsabilités pénales. En effet, le Code de la route fait désormais référence à l’exercice du contrôle dynamique du véhicule pour savoir qui est en réalité derrière les commandes.
Le décret du 21 juillet 2022 : une nouvelle (petite) pierre à l’édifice pour la réglementation française applicable à la voiture autonome
On ne parlera même pas de transposition en droit français pour envisager l’apport du décret du 21 juillet 2022 qui, en réalité, se contente de permettre la publication au Journal Officiel de l’amendement à la Convention de Vienne adopté en janvier 2022.
Le contrôle dynamique une notion appréhendée par le droit interne et par la Convention de Vienne
Le Décret n° 2022-1034 du 21 juillet 2022 portant publication de l’amendement à la convention internationale sur la circulation routière de Vienne du 8 novembre 1968, adopté à Genève le 14 janvier 2022 reprend ainsi un vocabulaire que les observateurs ont pu découvrir il y a plus d’un an avec l’Ordonnance du 14 avril 2021 :
Article premier
Définitions
« ab) Le terme “système de conduite automatisé” désigne un système associant des éléments matériels et logiciels permettant d’assurer le contrôle dynamique d’un véhicule de façon prolongée.
ac) Le terme “contrôle dynamique” désigne l’exécution de toutes les fonctions opérationnelles et tactiques en temps réel nécessaires au déplacement du véhicule. Il s’agit notamment du contrôle du déplacement latéral et longitudinal du véhicule, de la surveillance de la route, des réactions aux événements survenant dans la circulation routière, ainsi que de la préparation et du signalement des manœuvres. »
La validation de la conduite automatisée par la Convention de Vienne
Si l’arrivée du véhicule autonome bouscule tant les législateurs et plus largement la communauté des juristes c’est qu’au-delà du fantasme de la voiture sans pilote la plupart des législations nationales ne peut accueillir la voiture autonome sans modification des dispositions législatives ou réglementaires. La convention de Vienne de 1968 qui a été signée par près de 70 pays prévoit la présence dans le véhicule… d’un « conducteur ». On retrouve d’ailleurs assez logiquement cette exigence en droit national avec les dispositions de l’article R. 412-6 du Code de la route (« tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur » ).
Un premier amendement à la Convention de Vienne avait déjà été adopté en mars 2016 ouvrant la voie pour l’arrivée des véhicules autonomes sur nos routes (tout du moins les routes des pays signataires de la Convention internationale sur la circulation routière), celui du 14 janvier 2022 en rend presque concrète cette perspective.
AMENDEMENT À LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR LA CIRCULATION ROUTIÈRE DE VIENNE DU 8 NOVEMBRE 1968, ADOPTÉ À GENÈVE LE 14 JANVIER 2022
Article 34 bis
« Conduite automatisée
L’exigence selon laquelle tout véhicule ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur est réputée satisfaite lorsque le véhicule utilise un système de conduite automatisé qui est conforme :
a) à la réglementation technique nationale et à tout instrument juridique international applicable aux véhicules à roues et aux équipements et pièces susceptibles d’être montés ou utilisés sur un véhicule à roues ;
b) à la législation nationale régissant le fonctionnement du véhicule.
Le champ d’application de cet article est limité au territoire de la Partie contractante où s’appliquent les règlements techniques et la législation nationale régissant le fonctionnement du véhicule. »
Décret n° 2022-1034 du 21 juillet 2022 portant publication de l’amendement à la convention internationale sur la circulation routière de Vienne du 8 novembre 1968, adopté à Genève le 14 janvier 2022
Jean-Baptistle le Dall
06 64 88 94 14 (ligne professionnelle)
2022 LE DALL AVOCATS
Droit automobile – Droit des mobilités –
Image : Pixabay