Garantie légale de vice caché ou obligation de délivrance conforme, le choix du fondement juridique d’une action en justice peut se révéler très piégeux pour un acheteur. La Cour de cassation vient néanmoins, dans un arrêt du 2 mars 2023, d’apporter une précision intéressante en matière de référé expertise : ces opérations suspendent désormais les délais quel que soit le fondement retenu ultérieurement. Les explications de Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit, Directeur scientifique des États généraux du droit automobile.
Vice caché ou obligation de délivrance conforme : il faut choisir
En cas d’acquisition malheureuse, l’acheteur insatisfait pourra selon les problèmes affectant son véhicule engager une action sur le fondement de la garantie légale des vices cachés ou sur celui de l’obligation de délivrance conforme.
Le nouveau propriétaire de ce véhicule ne pourra pas engager une procédure en faisant valoir en même temps les deux fondements, il devra choisir et ne pas se tromper…
La jurisprudence très riche en la matière permettra aisément aux praticiens d’identifier le bon fondement, et l’on pourra également se référer au rapport annuel de la Cour de cassation 1994 :
« Le vice présente un aspect pathologique susceptible d’évolution, alors que la non-conformité est statique et provient du fait patent que la chose n’est pas celle désirée. En outre, le vice est la plupart du temps accidentel, alors que la non-conformité existe dès l’origine de la chose. Enfin, le vice est inhérent à la chose vendue, tandis que la non-conformité exige d’être appréciée à la lumière du contrat »
Rapport annuel de la Cour de cassation 1994, p. 343
Vices cachés ou obligation de délivrance conforme : quid en cas de mauvais fondement ?
L’acheteur qui aurait engager une action sur le fondement de la garantie de conformité, alors que le défaut s’apparenterait en réalité à un vice caché sera malheureusement débouté de ses demandes.
C’est ce qu’illustre par exemple un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 mars 2019 à propos d’une VW Polo qui tirait trop à droite :
Mais attendu que la demande de M. S… étant expressément fondée sur l’obligation de délivrance conforme édictée aux articles 1603 et 1604 du code civil, la cour d’appel n’était pas tenue de modifier le fondement juridique de la demande en examinant la prétention sous l’angle de la garantie des vices cachés que l’intéressé avait exclue ;
Cour de cassation, Chambre civile 1, 20 mars 2019, n°18-12919
Et attendu qu’ ayant souverainement estimé que les désordres affectant le véhicule le rendaient impropre à sa destination, la cour d’appel a exactement décidé, par une décision motivée et sans dénaturation, que les défauts relevaient de la garantie des vices cachés et non d’un manquement à l’obligation de délivrance ;
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En théorie, l’acheteur débouté pourrait éventuellement repartir de zéro et ré-initier une procédure engagée cette fois-ci sur les bons fondements, mais dans la pratique, cet acheteur débouté pourra difficilement lancer un nouveau recours dont l’engagement interviendrait souvent en dehors des délais prescrits par les textes.
Suspension de délai à la suite d’une expertise judiciaire en référé
La Cour de cassation vient de rendre un arrêt qui pourra simplifier les démarches des acheteurs insatisfaits au moment de l’engagement de la procédure.
La Cour de cassation est, en effet, venue préciser dans un arrêt du 2 mars 2023 à propos de l’acquisition de moteurs que la suspension des délais découlant d’une expertise judiciaire sollicitée en référé concernait à la fois une action ultérieure engagée sur le fondement de la garantie légale des vices cachés et une action engagée sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme.
En d’autres termes, un acheteur qui demanderait au juge des référés, la mise en place de mesures d’expertise suspectant la présence sur son véhicule de vices cachés, pourra par la suite choisir d’engager une action non pas sur le fondement de la garantie légale des vices cachés, mais sur une problématique liée à une délivrance non conforme.
Vu l’article 2239 du code civil :
Cour de cassation, Chambre civile 2, 2 mars 2023, n°21-18771
8. Selon ce texte, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
9. Si, en principe, la suspension comme l’interruption de la prescription ne peuvent s’étendre d’une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
10. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l’action en inexécution de délivrance conforme, l’arrêt retient que l’instance en référé a été initiée par acte du 2 janvier 2009 et donné lieu au dépôt du rapport de l’expert le 26 février 2015 en vue de rechercher l’existence de vices rédhibitoires, que l’instance in futurum n’ayant pas le même objet que celui de la présente instance au fond en inexécution de délivrance conforme n’a pas d’effet suspensif sur cette dernière.
11. En statuant ainsi, alors que la demande d’expertise en référé tendant à identifier les causes des sinistres subis par les matériels livrés et à déterminer s’ils sont atteints d’un vice rédhibitoire tend au même but que l’action en inexécution de l’obligation de délivrance conforme, la cour d’appel, qui aurait dû constater que la mesure d’instruction ordonnée avait suspendu la prescription de l’action au fond, a violé le texte susvisé.
Désormais, les opérations d’expertise diligentées dans le cadre d’un référé entraîneront une suspension des délais, quel que soit le fondement retenu par la suite. On ne peut que saluer la position de la Cour de cassation qui juridiquement se conçoit aisément avec la notion d’action tendant au même but (à savoir la résolution de la vente). Par ailleurs avec cet arrêt, la Cour de cassation fait preuve de bon sens puisque justement subsiste au moment de solliciter une mesure d’expertise une interrogation sur ce qu’elle va révéler : vices cachés ou des problématiques relevant d’une délivrance non conforme.
Les avocats praticiens de la matière se satisferont donc de cette nouvelle jurisprudence qui ne fait peut être qu’annoncer ce que seront demain les textes avec un avant-projet de réforme des contrats spéciaux qui promet depuis longtemps un rapprochement des régimes entre garantie légale des vices cachés et obligation de délivrance conforme.
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