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Alcool au volant / Cass. Crim. 27 juin 2023, n°23-81505 : le délit de conduite en état d’ivresse manifeste toujours pas porté à la connaissance du Conseil constitutionnel.

Alcool au volant / Cass. Crim. 27 juin 2023, n°23-81505 : le délit de conduite en état d’ivresse manifeste toujours pas porté à la connaissance du Conseil constitutionnel.

Le délit de conduite en état d’ivresse manifeste est sanctionné des mêmes peines que le délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique et permet aux juges de condamner en l’absence de taux délivré par un instrument de mesure. Problème, le Code de la route demeure très laconique sur ce délit que les praticiens souhaiteraient soumettre au Conseil Constitutionnel par le biais d’une QPC. La Cour de cassation vient encore de botter en touche. Les explications de Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit.

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Conduite en état d’ivresse manifeste : un délit qui peut donner le tournis…

Conduite en état d’ivresse manifeste et conduite sous l’empire d’un état alcoolique : des délits jumeaux

Le Code de la route prévoit exactement les mêmes sanctions pour ces deux délits. Ils se confondront également du point de vue de la récidive légale. Dans la pratique, le conducteur poursuivi pour conduite en état d’ivresse manifeste ne sera pas mieux loti que s’il avait été poursuivi pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique. On pourra même aller jusqu’à dire qu’il sera plus sévèrement sanctionné que le conducteur poursuivi pour un taux d’alcool dépassant à peine le seuil délictuel.

« I.-Même en l’absence de tout signe d’ivresse manifeste, le fait de conduire un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d’alcool dans l’air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre est puni de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende.

II.-Le fait de conduire un véhicule en état d’ivresse manifeste est puni des mêmes peines… »

Article L234-1 du Code de la route

Conduite en état d’ivresse manifeste : quels conducteurs poursuivis ?

Le délit de conduite en état d’ivresse manifeste permet à un juge de se passer d’un taux d’alcool. Pas besoin d’analyse de sang ou de mesure par éthylomètre pour entrer en voie de condamnation.

Dans la pratique, ce délit sera utilisé, en présence d’un conducteur, refusant de souffler dans l’éthylomètre et présentant des signes (plus ou moins) évidents d’alcoolisation. Il sera aussi utilisé dans l’hypothèse où un avocat parviendrait à remettre en cause les poursuites pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique.

Quels signes de l’ivresse manifeste ?

Pour condamner un conducteur pour conduite en état d’ivresse manifeste, le tribunal va s’appuyer sur des éléments lui permettant de se convaincre de l’état du prévenu au moment des faits.

On retrouvera dans les éléments du dossier pénal des phrases un peu stéréotypées qui permettront aux juges d’entrer en voie de condamnation : l’individu tient des propos incohérents, il a les yeux rouges, il titube, son haleine sent l’odeur de l’alcool…

Le juge pourra aussi aller regarder du côté des propres déclarations du conducteur : qu’avait-il consommé avant de prendre le volant, se sentait-il en état de prendre le volant…

Conduite en état d’ivresse manifeste : pas de critères clairement définis

L’étude de la jurisprudence en matière de conduite en état d’ivresse manifeste permettra de comprendre qu’il n’existe en réalité pas de critères définis par la loi ou la jurisprudence lorsque l’on parle de ce délit.

Certains critères reviennent de façon récurrente comme les propos incohérents, les titubations ou l’odeur de l’haleine. On pourra d’ailleurs discuter de la pertinence de ces critères : celui qui vient de boire un verre de whisky aura, à coup sûr, une haleine sentant l’alcool, il ne sera pas pour autant manifestement ivre… On pourra également s’interroger sur la pertinence de ces critères lorsque le conducteur a été impliqué dans un accident et qu’il vient à peine d’être désincarcéré de son véhicule… On comprendra aisément que, sous le choc, il puisse tenir des propos quelque peu incohérents, comme l’on comprendra que passablement secoué par le choc, il puisse adopter une démarche un peu vacillante.

Le problème en matière de conduite en état d’ivresse manifeste réside évidemment dans le caractère extrêmement subjectif des constatations, des faits et de leur interprétation qui peuvent permettre de matérialiser cette infraction.

Le praticien sait mieux que quiconque que dans les procès-verbaux des phrases stéréotypées, comme le producteur tient des propos incohérents, apparaîtront, quasiment systématiquement dans les procédures…

On regrettera évidemment que ne soient pas prévus par les textes des critères plus objectifs de l’ivresse. Les amateurs de séries télévisées américaines auront sans doute à l’esprit les tests qui sont mis en heure par les agents des forces de l’ordre : relevez les bras, marchez sur cette ligne, suivez du regard mon doigt, touchez-vous le nez…

Le droit positif en France se réfugie derrière le sacro-saint pouvoir souverain d’appréciation du juge pour laisse subsister au sein du Code de la route un délit à la matérialité assez indéfinie alors même que la matière est censée être régie par les grands principes gouvernant le droit pénal à commencer par l’interprétation stricte des textes… Or, sur les critères de l’ivresse manifeste, les textes ne disent strictement rien…

Matérialité de la conduite en état d’ivresse manifeste : un silence des textes conforme à la constitution ?

Bien évidemment les textes en matière d’ivresse manifeste ne datent pas d’hier mais le mécanisme de la QPC, la question prioritaire de constitutionnalité permet de saisir le Conseil constitutionnel bien après leur adoption. A l’occasion d’une procédure et par exemple de poursuites devant un tribunal correctionnel pour conduite en état d’ivresse manifeste, un conducteur ou plutôt son conseil pourra soulever une Question propriétaire de constitutionnalité. Mais n’arrive pas qui veut devant le Conseil constitutionnel, ou tout du moins n’importe quelle QPC mais ne sera pas examinée par les sages de la rue Montpensier. Il faut pour se faire franchir le filtre de la Cour de cassation. Or, cette dernière reste malheureusement désespérément sourde aux interrogations pour ne pas dire aux récrimination des praticiens et a toujours refusé de transmettre une QPC relative au délit de conduite en état d’ivresse manifeste au Conseil constitutionnel.

Attendu que M. Jérôme X… soutient que les dispositions de l’article L 234-1, II, du code de la route, réprimant le fait de conduire un véhicule en état d’ivresse manifeste, portent atteinte au principe des droits de la défense, en particulier le droit à une procédure juste et équitable, en ce que la preuve de l’état d’ivresse ne repose que sur une appréciation subjective de l’officier de police ;

Attendu que les dispositions législatives contestées constituent le fondement des poursuites et n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

Mais attendu que la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ;

Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux au regard du principe constitutionnel des droits de la défense, dès lors que la preuve contraire de la constatation de l’état d’ivresse manifeste par un officier ou agent de police judiciaire peut être rapportée par le prévenu ;

D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question posée au Conseil constitutionnel ;

Cass. Crim., 16 juillet 2010, 10-90080

13 ans après la Cour de cassation n’a pas bougé d’un iota sur la question de la constitutionnalité du délit de conduite en état d’ivresse manifeste, et encore une nouvelle fois en juin 2023 bloqué une QPC, pointant notamment du doigt la question de la prévisibilité juridique :

1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

« En punissant la conduite d’un véhicule en état d’ivresse manifeste sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, l’article L. 234-1-II du code de la route méconnaît-il le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ? ».

2. La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

3. La question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.

4. La question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que les éléments constitutifs du délit de conduite d’un véhicule en état d’ivresse manifeste, prévu par l’article L. 234-1, II, du code de la route, sont suffisamment clairs et précis pour que l’interprétation de ce texte, qui entre dans l’office du juge pénal, puisse se faire sans risque d’arbitraire.

5. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Cass. Crim. 27 juin 2023, 23-81505

Statu Quo, donc, pour ce délit de conduite en état d’ivresse manifeste, dont on ne peut que regretter la rédaction lacunaire… Le Code de la route offre pourtant de nombreux exemples de dispositions détaillant des hypothèses dans lesquelles telle ou telle infraction pourra être matérialisée, on pense ainsi à des infractions de stationnement dangereux, des infractions de vitesse excessive eu égard aux circonstances… Le Code de la route procède alors avec une liste, il aurait été possible d’imaginer quelque chose de similaire pour la conduite en état d’ivresse manifeste…

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