Pour les travailleurs frontaliers qui parcourent chaque jour des dizaines, des centaines de kilomètres et traversent la frontière deux fois par jour, la détention du permis de conduire s’avère évidemment indispensable. Mais les trajets quotidiens sont également une source de risque d’infraction et de privation de permis d’un côté ou de l’autre de cette frontière. Les explications et les recommandations de Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit.
Le droit de conduire de chaque côté de la frontière avec le même permis.
Le travailleur frontalier qui chaque jour quitte l’Hexagone pour aller travailler en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne, en Italie ou encore en Suisse pourra poursuivre son trajet, passé la frontière, avec son permis de conduire français.
Nos voisins européens n’exigeront pas la détention d’un permis de conduire international (que l’on parle des Etats membres de l’Union européen ou de la confédération helvétique) … On pourra, toutefois, conseiller aux frontaliers travaillant loin de la frontière de solliciter la délivrance de ce document qui pourra éventuellement faciliter certains contrôles opérés par des agents ne comprenant pas forcément le français.
Le permis de conduire international : pas plus de droits que le permis national
Le permis de conduire international n’est que la traduction en langue étrangère du titre délivré par des autorités nationales. Il pourra être exigée dans certains pays pour circuler sur leur territoire (parmi ces on pourra citer l’Arabie Saoudite, le Bénin, l’Egypte, le Panama, le Paraguay, le Qatar, la Thaïlande…)
Le conducteur qui souhaiterait la délivrance de ce document, n’aura aucune épreuve ou visite médicale à passer pour l’obtenir.
Démarches de délivrance du permis de conduire international
Mais attention, l’obtention de ce permis de conduire international ne conférera à son détenteur aucun droit supplémentaire en termes de conduite.
En d’autres termes si le permis de conduire national dont il est issu fait l’objet d’une mesure de suspension, d’annulation ou d’invalidation, le permis de conduire international ne permettra pas à son titulaire de poursuivre la conduite.
Ainsi, un conducteur français, qui aurait été privé de permis de conduire à la suite d’un grand excès de vitesse dans le cadre d’une mesure de suspension préfectorale (arrêté 3F) ne pourra pas sortir de son portefeuille son permis de conduire international pour conduire en France ou en Suisse par exemple.
Privation de permis de conduire : et si j’ai passé mon permis de conduire dans deux pays ?
Si la détention d’un permis de conduire international ne saurait faire office de joker pour un conducteur en difficulté avec le Code de la route, sa situation sera différente s’il s’avère détenteur de deux permis de conduire délivrés par deux pays, dans l’hypothèse où ce conducteur aurait décroché le précieux sésame dans ces deux états.
Un résident français qui, par exemple, aurait passé les épreuves du permis de conduire à la fois en France, et à la fois en Belgique, pourra en cas de suspension de son titre français, conduire en Belgique ou ailleurs avec son permis de conduire obtenu en Belgique (pour être plus précis partout où le titre belge sera reconnu sauf… en France).
On précisera que ces propos ne concernent que le conducteur qui a passé les épreuves du permis de conduire avec succès dans deux Etats et non celui qui a obtenu un titre étranger par échange avec son titre français dont il aura obtenu un duplicata…
La détention de deux permis de conduire pour un travailleur français frontalier pourra représenter une véritable sécurité en cas de mesure visant son permis de conduire français.
En pratique, la détention d’un permis de conduire belge lui permettra en cas de suspension en France de prendre le volant une fois la frontière passée. Il ne lui reste donc qu’à se trouver une solution de covoiturage pour l’amener à la frontière.
Attention : on insistera sur le fait que la privation du permis de conduire français interdit au détenteur d’un permis délivré par un autre état de l’utiliser sur le territoire français.
C’est ce qu’a pu rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mai 2022, confirmant une jurisprudence déjà bien établie.
Dès lors que l’invalidation du permis de conduire français entraîne nécessairement l’interdiction du droit de conduire sur le territoire national français, quand bien même le prévenu serait titulaire d’un permis délivré par un autre Etat ou d’un permis international, le moyen soutenant que les permis de conduire libanais et international présentés par le prévenu auraient été obtenus régulièrement est inopérant.
Cass. Crim., 17 mai 2022, n° 21-85.611
On soulignera toutefois que la détention de deux permis de conduire délivrés par deux Etats exposent le conducteur à des pertes de points potentiellement sur ses deux titres en fonction du pays de commission de l’infraction.
Décisions de retrait de points : pas perte de points sur un permis national pour des infractions commises à l’étranger
Le frontalier de nationalité française qui travaillerait au Luxembourg et emprunterait tous les jours les routes du grand-duché ne perdra pas de points sur son permis français s’il commet une infraction au Luxembourg.
Par contre s’il possède un permis luxembourgeois… il perdra des points sur son permis luxembourgeois pour les infractions qu’il aurait commis au Luxembourg. Ces infractions commises au Luxembourg ne viendront pas grignoter son solde de points de permis de conduire français.
On retiendra donc le principe d’imperméabilité même si comme dans notre exemple les permis de conduire français et luxembourgeois fonctionnent avec un capital identique de 12 maximum…
Le travailleur frontalier français travaillant au Luxembourg titulaire d’un permis de conduire français et d’un permis de conduire luxembourgeois devra donc surveiller son solde de points en France via Télépoints et au Luxembourg via myguichet
Alcool, au volant : des aménagements qui ne permettent pas de conduire à l’étranger
Le Code de la route français prévoit désormais la possibilité en matière de conduite sous l’empire d’un état alcoolique de bénéficier d’un dispositif de type EAD (éthylotest antidémarrage électronique).
La conduite d’un véhicule équipé de ce dispositif peut être envisagée au stade de la mesure préfectorale de privation de conduite (prise immédiatement après les faits) ou dans le cadre de la peine prononcée par le juge pénal ultérieurement lors du jugement parfois quelques mois après les faits.
Depuis la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2009, l’obligation d’équiper son véhicule d’un dispositif EAD devient même obligatoire en cas de condamnation pour récidive d’alcool au volant.
Mais attention, si ce dispositif permet la reprise du volant sur le territoire français, il n’en sera pas forcément de même sur les routes étrangères…
Le travailleur frontalier devra donc avoir conscience des limites de ce dispositif lorsqu’il comparaîtra devant le juge. Il lui sera nécessaire (à lui ou plutôt son avocat) de sensibiliser le tribunal au fait que la mesure de conduite sous EAD ne permettra pas au conducteur condamné de poursuivre ses trajets quotidiens à l’étranger.
Il sera d’autant plus important d’insister sur cette question le jour du jugement que les magistrats auront naturellement tendance à avoir la main plus lourde en termes de quantum (nombre de mois de la mesure) lorsqu’il s’agit d’une conduite sous EAD et non d’une mesure de suspension « ferme ».
Permis de conduire et infractions routières : des pays qui échangent beaucoup entre eux…
La France échange beaucoup avec ses voisins en matière d’infraction au Code de la route. Dans la pratique ce sont des carnets d’adresses qui vont s’échanger entre pays frontaliers, ce qui permettre aux avis de contravention de pouvoir trouver leurs destinataires… Que la plaque d’immatriculation soit française, belge ou suisse, le Centre national de traitement automatisé pourra faire partir un avis de contravention au domicile du titulaire du certificat d’immatriculation qu’il réside en France, en Belgique ou en Suisse… Et inversement…
Pour les Etats membres de l’Union Européenne, la Directive (UE) 2015/413 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2015 facilitant l’échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière permettra l’échange d’informations pour les infractions suivantes :
Excès de vitesse
Non-port de la ceinture de sécurité
Franchissement d’un feu rouge
Alcool au volant (conduite sous l’empire d’un état alcoolique)
Conduite après usage de stupéfiants
Non-port du casque
Circulation sur une voie interdite
Usage du téléphone portable au volant
Entre la France et la Suisse, l’accord de Paris du 9 octobre 2007 prévoit également un échange d’informations.
Article 9 Assistance sur demande
2. Les demandes d’assistance portent notamment sur les domaines suivants :
― identification des détenteurs et contrôle des conducteurs de véhicules routiers, d’embarcations et d’aéronefs ;
― demandes concernant des permis de conduire, des permis de navigation ou d’autres titres de légitimation analogues ;
― recherches d’adresses actuelles et de résidences…
Article 44 Définition des infractions aux prescriptions sur la circulation routière
Par infraction aux prescriptions sur la circulation routière, au sens du présent titre, on entend :
― pour la Suisse : les infractions à la Loi fédérale sur la circulation routière et aux dispositions d’application,
― pour la République française : les infractions définies par le code de la route, ainsi que les contraventions aux prescriptions relatives à la durée de la conduite, au repos des chauffeurs professionnels, ainsi qu’aux transports de marchandises dangereuses par la route.
Article 45 Communications tirées du registre des véhicules, enquêtes subséquentes
1. Les données qui proviennent des fichiers nationaux d’immatriculation des véhicules et qui se rapportent en fait et en droit à des véhicules (données sur les véhicules) de même que les données ayant trait à des personnes titulaires d’un certificat d’immatriculation (données sur les titulaires de certificats d’immatriculation ou les propriétaires des véhicules) peuvent, sur demande de l’une des Parties, être communiquées à l’autre, en tant qu’elles sont nécessaires à la poursuite d’infractions commises en matière de circulation routière.
2. Le service destinataire s’engage à n’utiliser les données qu’aux fins de poursuite d’une infraction routière. La demande de transmission des données doit porter sur un véhicule ou un titulaire de certificat d’immatriculation précis.
3. Aux fins de répondre ― y compris dans le cadre d’une procédure automatisée ― aux demandes faisant état de l’immatriculation de véhicules, les autorités centrales d’enregistrement tiennent à disposition les données ci-après qu’elles ont enregistrées dans leurs fichiers :
a) Données sur les titulaires de certificat d’immatriculation, au minimum :
― pour les personnes physiques : nom, prénoms, et adresse ;
― pour les personnes morales et autorités : appellation ou dénomination et adresse ;
b) Données sur les véhicules, au minimum :
― numéro d’immatriculation, et numéro de châssis (numéro d’identification du véhicule, VIN) ;
― type, marque et modèle.
Décret n° 2009-836 du 7 juillet 2009 portant publication de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière, signé à Paris le 9 octobre 2007
Et côté finances ? Possibilité d’exéction forcée de l’amende et saisie bancaire possible ?
Dans la pratique, les travailleurs frontaliers qui passent tous les jours la frontière éviteront de laisser une ardoise qui n’aura que vocation à croître avec des mécanismes de majoration et qui qui pourra leur être réclamée au moindre contrôle…
Pour ceux qui auraient du mal à ouvrir le portefeuille, on attirera l’attention sur les infractions commises en Suisse pour lesquelles les autorités helvétiques n’hésiteront pas dégainer l’article 47 des accords de Paris.
« Article 47 – Demandes d’exécution forcée, conditions
1. Sur demande, les Parties se prêtent assistance en matière d’exécution des décisions par lesquelles le tribunal compétent ou l’autorité administrative compétente de l’une des Parties constate et, partant, sanctionne une contravention aux prescriptions sur la circulation routière. Les conditions suivantes doivent être remplies :
a) La somme à recouvrer se monte à 70 euros ou à 100 francs suisses au minimum ; »
Un mécanisme équivalent existe bien sûr au sein de l’Union européenne mais il ne sera pas aussi couramment mis en œuvre.
Quelles suites après une rétention de permis de conduire en France pour un conducteur frontalier étranger ?
En cas d’arrestation sur le territoire national français d’un conducteur résidant à l’étranger, détenteur d’un permis de conduire étranger, les forces de l’ordre française pourront procéder à la rétention du titre, comme il le ferait à l’encontre d’un conducteur français.
La rétention de ce permis de conduire délivré par un état étranger ne se soldera, par contre, pas de la même façon qu’en présence d’un conducteur français.
Les autorités françaises ne pourront que prononcer à l’encontre du conducteur étranger une mesure d’interdiction temporaire de conduite sur le territoire français.
Le permis de conduire délivré, par exemple, par la Belgique, le Luxembourg ou l’Italie demeurera donc parfaitement valable en dehors des frontières françaises.
En pratique, les autorités françaises prendront un arrêté référencé 3E à l’encontre de ces conducteurs étrangers.
Il ne sera pas possible pour le conducteur étranger de récupérer son permis de conduire en France, y compris après la fin du délai de rétention de permis de conduire de 72 ou cents 20 heures.
Le permis de conduire de ce résident étranger sera retourné aux autorités de son pays de résidence ou à l’adresse communiquée par le conducteur.
Conséquences d’une mesure prise par la France arrêté 3E dans le pays de délivrance du permis
Le conducteur frontalier étranger circulant en France avec le permis de conduire qu’il a obtenu dans son pays de naissance ou de résidence pourra éventuellement être impacté par la mesure française dans son pays.
Une mesure de suspension de permis de conduire transposée en Suisse
C’est ce que prévoient les dispositions de la LCR, la loi fédérale sur la circulation routière.
1 Après une infraction commise à l’étranger, le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire est retiré aux conditions suivantes:
a. une interdiction de conduire a été prononcée à l’étranger;
b. l’infraction commise est qualifiée de moyennement grave ou de grave en vertu des art. 16b et 16c.
2 Les effets sur la personne concernée de l’interdiction de conduire prononcée à l’étranger seront pris en compte dans une juste mesure lors de la fixation de la durée du retrait de permis. La durée minimale du retrait peut être réduite. Pour les personnes au sujet desquelles le système d’information relatif à l’admission à la circulation ne contient pas de données concernant des mesures administratives (art. 89c, let. d), la durée de l’interdiction ne peut dépasser celle qui a été prononcée à l’étranger.
Article 16cbis 77 de la Loi fédérale sur la circulation routière (LCR) du 19 décembre 1958
A l’inverse, les autorités administratives belges ou luxembourgeoises prévoient même la possibilité pour leurs ressortissants de solliciter la délivrance d’un duplicata en cas de rétention de permis de conduire à l’étranger :
Délivrance d’un nouveau permis de conduire belge après un retrait du titre à l’étranger
L’article 50 §1er de l’Arrêté royal relatif du 23 mars 1998 relatif au permis de conduire, expliquent qu’un duplicata du permis de conduire est délivré :
1° en cas de perte ou de vol du permis de conduire ;
2° lorsque le permis de conduire est détérioré, illisible ou détruit ;
3° lorsque la photographie du titulaire n’est plus ressemblante ;
4° en cas de retrait du permis de conduire par une autorité étrangère ;
5° dans les cas visés aux articles 69, § 2 et 80, § 2.
Le requérant est tenu de satisfaire aux conditions prévues à l’article 3, § 1er pour l’obtention d’un permis de conduire.
§ 2. Une demande de duplicata, dont le modèle est déterminé par le Ministre, est introduite auprès de l’autorité visée à l’article 7.
Elle est accompagnée : (…)
2° d’une attestation de l’autorité étrangère certifiant qu’elle n’a pas délivré de permis de conduire national au requérant si le motif invoqué est le retrait du permis de conduire par cette autorité;
Arrêté royal relatif du 23 mars 1998 relatif au permis de conduire
Délivrance d’un nouveau permis de conduire luxembourgeois après un retrait du titre à l’étranger
Là encore, les autorités administratives prévoient la réédition du titre de conduite en cas de mesure de rétention ou de retrait à l’étranger.
« Une demande en vue de la délivrance d’un duplicata pourra être faite auprès de la SNCA ( Société nationale de circulation automobile) via le formulaire de demande d’un duplicata d’un document/permis de conduire en indiquant le motif « le retrait/la rétention de mon permis de conduire à l’étranger ».
La copie de l’avis de rétention/retrait est à joindre obligatoirement à la demande.
Le ministère de la Mobilité et des Travaux publics se réserve le droit d’attendre le rapport des autorités étrangères, si nécessaire, et de décider sur la délivrance d’un duplicata du permis de conduire au vu du dossier du permis de conduire existant du demandeur. »
Quel avocat pour défendre le permis de conduire d’un frontalier ?
En pratique l’avocat ne plaidera pas au-delà des frontières de son pays, sauf à être inscrit dans un barreau à l’étranger, mais il pourra apporter les premiers conseils à son client anticiper aux mieux les impacts éventuels sur le permis de conduire et le droit de conduire sur le territoire national et le diriger vers l’un de ses confrères à l’étranger. Le cabinet travaille ainsi avec des avocats partenaires qui pourront défendre efficacement ses clients en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne, en Suisse…
Contacter Maître le Dall pour une étude de votre dossier :
Standard 09 70 24 04 48
Siège cabinet 01 85 73 05 15
06 64 88 94 14 (ligne professionnelle)
2023 LE DALL AVOCATS
Droit automobile – Droit des mobilités –
Image par Wilfried Pohnke de Pixabay