Le Conseil d’État vient de rappeler dans un récent arrêt que le préfet qui souhaiterait prendre un arrêté de suspension de permis de conduire provisoire doit lorsqu’il intervient au-delà du délai de 120 heures de l’avis de rétention impérativement recueillir les observations du conducteur concerné. A défaut, le tribunal administratif pourra annuler l’arrêté de suspension. En soi cette position n’est pas nouvelle mais intéressera évidemment au plus haut point les conducteurs consommateurs de CBD. Jean-Baptiste le Dall revient sur cet arrêt du 24 mai 2024 (Conseil d’État, 5ème chambre, n°474548)
Suspension préfectorale du permis de conduire : la sanction avant la peine ?
La constatation d’une infraction grave au Code de la route entraîne généralement la prise du permis de conduire par les agents dans le cadre d’une mesure de rétention du permis de conduire. Un avis de rétention est alors remis à l’intéressé. En matière de stupéfiant au volant, cet avis de rétention couvre une période de 120 heures. L’absorbtion de CBD pouvant faire apparaître des traces de THC au moment du dépistage salivaire c’est un avis de rétention d’une telle durée qu’il pourra être remis à des conducteurs consommateurs de produits à base de cannabidiol.
A lire:
L’avis de rétention ne constitue, en règle générale, que les prémices à d’autres sanctions et notamment la suspension préfectorale qui pourra immobiliser le conducteur pendant de nombreux mois avant qu’il ne soit jugé par le tribunal correctionnel.
Arrêté de suspension du préfet 3F pris dans les 120 heures
Pour la plupart des délits routiers pouvant entraîner une suspension de permis de conduire provisoire, le préfet décide du sort du conducteur dans le délai de de 120h de l’avis de rétention.
Le délai de 120 heures est un délai de prise de décision et non pas de notification. Le conducteur concerné pourra dès lors n’être notifié de cette décision que plusieurs jours après la fin du délai de 120 heures.
Une décision préfectorale plus compliquée à mettre en œuvre au-delà du délai de 120 h
Il est toujours possible pour le préfet de prendre une décision de suspension au-delà du délai de 120 h de l’avis de rétention.
En pratique, le conducteur sera confronté à ces conditions de prise de décision, lorsque le laboratoire en charge des analyses ne lui aura pas retourner les résultats dans le délai de 120 heures.
La prise de décision du préfet ne bénéficie toutefois plus de dérogation accordée dans le cadre de la procédure d’urgence.
Le préfet doit s’il prend sa décision, au-delà du délai de 120 heures de l’avis de rétention recueillir les observations de l’intéressé avant sa prise de décision. En pratique, cette demande d’observations prend la forme d’un courrier recommandé qui est adressé à l’intéressé et lui faisant part du fait que le préfet envisage une suspension de permis de conduire. Ce courrier donne un délai allant de 7 à 15 jours selon les préfectures pour présenter des observations au préfet.
Le non-respect de la procédure contradictoire par le préfet pourra entraîner une censure de sa décision par les juridictions administratives.
C’est ce que vient encore de rappeler le conseil d’État dans son arrêt du 24 mai 2024
5. D’une part, aux termes de l’article L. 224-7 du code de la route : » Saisi d’un procès-verbal constatant une infraction punie par le présent code de la peine complémentaire de suspension du permis de conduire, le représentant de l’Etat dans le département où cette infraction a été commise peut, s’il n’estime pas devoir procéder au classement, prononcer à titre provisoire soit un avertissement, soit la suspension du permis de conduire ou l’interdiction de sa délivrance lorsque le conducteur n’en est pas titulaire (…) « . D’autre part, aux termes de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration : » Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable « . Aux termes de l’article L. 121-2 du même code : » Les dispositions de l’article L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles (…) « .
6. La décision par laquelle le préfet suspend un permis de conduire sur le fondement de l’article L. 224-7 du code de la route, qui est une mesure de police et doit être motivée en application de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, est soumise au respect d’une procédure contradictoire préalable. En l’absence d’une procédure contradictoire particulière organisée par les textes, le préfet doit se conformer aux dispositions du code des relations entre le public et l’administration en informant le conducteur de son intention de suspendre son permis de conduire et de la possibilité qui lui est offerte de présenter des observations. Le préfet ne peut légalement se dispenser de cette formalité, en raison d’une situation d’urgence, que s’il apparaît, eu égard au comportement du conducteur, que le fait de différer la suspension de son permis pendant le temps nécessaire à l’accomplissement de la procédure contradictoire créerait des risques graves pour lui-même ou pour les tiers.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A… a été soumis à un dépistage salivaire de la consommation de stupéfiants lors d’un contrôle de routine, sans qu’il ait commis d’autre infraction au code de la route. Il n’est pas soutenu et ne ressort pas des pièces du dossier qu’il ait présenté à cette occasion un taux de tétrahydrocannabinol (THC) élevé. Il ressort par ailleurs du relevé intégral d’information relatif au permis de conduire de l’intéressé qu’antérieurement à ce contrôle, il avait seulement fait l’objet d’un retrait d’un point pour un excès de vitesse inférieur à 20 km/h, sans lien avec la consommation de stupéfiants. M. A… conteste par ailleurs être un consommateur régulier de cannabis. Si la consommation, même occasionnelle, de cannabis comporte un risque pour la sécurité routière, les circonstances de l’espèce ne permettent pas de caractériser une urgence telle qu’elle aurait justifié que le préfet du Finistère se dispense, dix jours après le contrôle du conducteur, de la procédure contradictoire mentionnée au point 6. M. A… est, par suite, fondé à soutenir que la procédure est entachée d’irrégularité et à demander, pour ce motif, l’annulation de l’arrêté attaqué.
8. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. «
9. L’annulation de l’arrêté du 5 juillet 2022 du préfet du Finistère impliquant nécessairement l’effacement de la mention de la suspension provisoire du permis de conduire de M. A… du relevé intégral d’information relatif à ce permis, il y a lieu d’enjoindre à l’administration de procéder à cet effacement dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu’il soit besoin de prononcer une astreinte.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Conseil d’État, 5ème chambre, 24 mai 2024, n°474548
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