La vente d’un véhicule a fortement kilométré pour un prix de cession extrêmement bas ne doit pas faire penser qu’aucun risque juridique n’existe côté vices cachés ou obligation de délivrance. Les explications et les conseils de Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en droit qui revient notamment sur un récent arrêt Cour d’appel de Riom du 29 novembre 2023.
L’augmentation de l’âge moyen du parc automobile en France ne s’explique pas uniquement par un pouvoir d’achat en berne mais aussi tout simplement par une longévité accrue des véhicules. On parle fréquemment d’obsolescence programmée, et l’on peut dans le domaine automobile regretter une électronique trop présente et parfois capricieuse. Mais soyons clair, l’automobile a fait ces trente dernières années un pas de géant en termes de fiabilité et de durabilité. Alors que dans les années 80 le passage des 100 000 km signait la plupart du temps l’état de mort cérébrale d’un véhicule, il n’en est plus rien aujourd’hui. Les traitements anti-corrosion, la qualité des matériaux, la fiabilité des pièces mécaniques, la rigueur dans l’assemblage permettent aujourd’hui à des véhicules de plus d’une vingtaine d’années de faire bonne figure dans le flot de la circulation. Cela aurait été évidemment impensable dans les années 80 ou 90…
Mais cette durabilité des véhicules tombés des chaines d’assemblage à partir des années 2000 ne fait pas que forcer le respect. Elle bouscule également un peu le marché de l’occasion. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir à la vente un véhicule ayant soufflé ses 20 ans et affichant 150 000 ou 200 000 km au compteur…
Même fortement kilométrés et âgés, ces véhicules trouveront preneurs. Mais se pose bien évidemment la question de l’application de la garantie légale des vices cachés à la cession de ces automobiles au passé déjà bien rempli.
La vente d’un véhicule pour pièces : on oublie !
Pour tenter de limiter les risques côté juridique après la cession d’un véhicule âgé et kilométré, il peut être tentant de vendre le véhicule pour pièces.
La vente d’un véhicule pour pièces qui était effectivement envisageable il y a quelques années est à proscrire aujourd’hui. La vente d’un véhicule passe nécessairement par l’épreuve du contrôle technique. On comprendra toutefois qu’il sera compliqué pour le vendeur d’un véhicule ayant souffler ses 20 ou 25 bougies de mettre à la vente un bolide sans la moindre défaillance au contrôle technique.
On comprend qu’il ne sera pas forcément possible pour le vendeur d’un tel véhicule d’exposer avant la cession des frais importants pour livrer aux futurs acquéreurs un véhicule au rapport de contrôle technique vierge.
L’échec au contrôle technique n’est pas forcément un veto à la vente. On rappellera qu’il est parfaitement possible de vendre un véhicule recalé au contrôle technique. Le véhicule qui se verrait imposer une session de rattrapage à la suite de la visite périodique, pourra en effet être cédé pendant les deux mois accordés pour passer se présenter à la contre-visite.
Des kilométrages importants qui n’écartent pas à la garantie légale des vices cachés
Ce n’est pas parce que l’on cède un véhicule fortement kilométré et âgé d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années que la garantie légale des vices cachés ne s’appliquera pas.
A l’évidence, un juge saisi d’un recours en justice à la suite de la vente d’un tel véhicule sera sans doute plus regardant et vérifiera que les désordres dont se plaint l’acheteur correspondent bien à des vices cachés.
Avec un véhicule d’une vingtaine d’années et 150 000 ou 200 000 km au compteur, la survenance d’un certain nombre d’avaries, plus ou moins importantes n’est guère surprenant. Dans la pratique, de nombreuses défaillances pourront être imputées à une usure prononcée de certaines pièces mécaniques.
En présence d’éléments d’usure, en d’autres termes de consommables comme des plaquettes de frein, des disques, une batterie, des injecteurs (passé un certain kilométrage), des pneumatiques, des filtres, des durites, des Silentblocs, etc., un tribunal saisi par un acheteur insatisfait écartera l’application de la garantie légale des vices cachés. La juridiction aura tendance à considérer que ces défaillances ne remettent pas en cause l’usage du bien et que les pièces concernées peuvent être facilement remplacées par l’acheteur.
Pas de résolution de la vente du vieux Kangoo pour vices cachés
La Cour d’appel de Riom a récemment eu à connaître de l’un de ces litiges nés après la vente d’un véhicule à bas coût. Cette juridiction s’est largement appuyée sur le rapport d’expertise pour rejeter la demande de résolution de la vente formulée par l’acheteur mécontent.
Pour ceux que cela intéresse : le contenu de cet arrêt du 29 novembre 2023 :
«En application de l’article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.
L’acheteur doit apporter la preuve de l’existence d’un vice, préexistant à la vente, caché, et qui rend la chose impropre à son usage.
En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise judiciaire et des conclusions des parties que les désordres affectant le véhicule se limitent à l’état du palier de la transmission centrale, et à l’état des silentblocs de liaison du berceau mécanique arrière sur la caisse.
L’expert explique que :
— le palier de transmission assure le positionnement et le guidage de l’arbre de transmission assurant l’entraînement du pont arrière ;
— le berceau mécanique arrière est une pièce sur laquelle se rattachent tous les éléments de la transmission et la suspension arrière, et qui se fixe à la structure du soubassement de la caisse ; les silentblocs sont des éléments positionnés aux points de fixation.
Interrogé sur la nature et la date d’apparition des désordres, l’expert indique :
— sur le palier de la transmission centrale : que l’état du silentbloc du palier de la transmission est un phénomène de vétusté lié à l’âge et à l’usage, c’est une dégradation qui se produit tout au long de l’usage ; que ce défaut existe de longue date puisque le procès-verbal de contrôle technique du 26 juin 2017 relevait en défaillance mineure le défaut ‘8.1.4.1.2 Transmission jeu important Centre’ et ce défaut aurait dû être noté sous la même forme lors de la visite technique du 3 avril 2018 ;
— sur les silentblocs de liaison du berceau mécanique arrière sur la caisse : que l’état du silentbloc du palier de la transmission est un phénomène de vétusté lié à l’âge et à l’usage ; c’est une dégradation qui se produit tout au long de l’usage ; que l’état de dégradation extrême du caoutchouc et la désolidarisation complète entre les éléments constituant les silentblocs, ne laisse aucun doute sur le fait d’une détérioration qui existe de longue date ; que cette dégradation était notifiable comme défaillance mineure dans le cadre du contrôle technique du 3 avril 2018 sous le code altération ‘8.1.4.2.1 : Berceau Mauvaise fixation Liaison ARD ARG’.
A la question de la détermination de l’origine des désordres, l’expert répond que les dégradations observées, que ce soient le palier de la transmission centrale ou les silentblocs de liaison du berceau mécanique arrière sur la caisse, sont la conséquence d’un vieillissement des matériaux composites (caoutchouc) exposés aux éléments extérieurs (humidité) et aux contraintes de leurs fonctions (amortissement de vibrations) tout au long de 14 années d’usage.
Selon l’expert, ces défauts sont directement liés à l’usure du véhicule dans la durée, au fil de son usage. Il conclut qu’il s’agit d’une vétusté des pièces.
Il estime que les désordres existaient au moment de la vente : la notification du jeu important dans la transmission dans le PV de contrôle technique du 26 juin 2017 ne laisse aucun doute sur la préexistence du défaut à la vente. S’agissant des silentbocs, même s’ils ne sont pas notés sur le contrôle technique du 3 avril 2018, leur état de dégradation ne laisse aucun doute sur leur état au moment de la vente, il s’agit d’une vétusté des silentblocs qui s’est faite tout au long des plus de 220 000 km d’usage.
Il considère que le jeu du palier d’arbre de transmission, comme la vétusté des silentblocs du berceau arrière, n’étaient pas décelables par un acheteur non professionnel.
Enfin, il indique que l’état de ces pièces a un impact sur le comportement du véhicule, mais qu’il n’en interdit pas l’usage. La vétusté des pièces est cause de claquements, bruit et vibrations. Leur remplacement sont des opérations courantes qui entrent dans le cadre de l’entretien du véhicule. Il évalue le coût des réparations à 1 131,14 euros TTC, tout en précisant que pour ce type de véhicule âgé et kilométré, il existe des solutions alternatives de pièces neuves de qualité équivalente qui limitent le prix des pièces par rapport aux pièces d’origine constructeur.
Il ajoute en fin de rapport que le véhicule était âgé au moment de la vente de près de 14 ans et affichait plus de 220 000 km d’usage, et qu’il était ainsi affecté d’usures inévitables et prévisibles.
Dès lors, l’usure du palier de la transmission centrale et des silentblocs de liaison du berceau mécanique arrière sur la caisse, certes non signalée lors du contrôle technique du 3 avril 2018, est liée à la vétusté du véhicule acquis, mis en service depuis plus de 14 ans et affichant plus de 220 000 km au compteur au moment de son acquisition, et ne constitue pas un vice caché.
Contrairement à ce que soutient l’appelant, l’expert n’a nullement conclu à la dangerosité du véhicule devant conduire à son immobilisation immédiate, mais surtout il n’a nullement estimé que la vétusté affectant les pièces du véhicule litigieux était anormale puisqu’il estime que l’automobile vendue au vu de son âge et de son kilométrage était affectée d’usures inévitables et prévisibles.
La preuve de l’existence d’un vice caché n’est donc pas rapportée. »
Cour d’appel de Riom, Chambre commerciale, 29 novembre 2023, n° 20/01757
Vente d’un véhicule à petit prix : on fait les choses en règle !
Céder un véhicule en fin de vie pour quelques poignées d’euros pourrait inciter certains vendeurs à baisser la garde et ne pas forcément faire les choses dans les règles.
Mais attention pour certains acheteurs l’acquisition, même à quelques centaines ou quelques milliers d’euros, pourra parfois représenter un investissement important et parmi ces acheteurs certains ne pourront pas remettre la main au portefeuille en cas de survenance d’avarie ou de défaillance même mineure. La tentation est alors grande pour ces acheteurs d’engager un recours pour tenter d’obtenir une minoration du prix, voire une résolution de la vente.
L’accompagnement d’une compagnie d’assurance dans le cadre d’un contrat de protection juridique (comme cela a été le cas dans cet arrêt de la Cour d’appel de Riom du 29 novembre 2023) ou le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour les revenus les plus modestes pourra permettre à certains acheteurs insatisfaits (à tort ou à raison) d’engager un recours sans bourse délier.
Pour le vendeur attrait devant la justice, les frais risquent de s’additionner dans des proportions somme toute assez similaires à celles envisageables pour un véhicule plus coûteux.
On conseillera donc aux vendeurs de véhicules fortement kilométrés ou commençant à être âgés de bien spécifier au moment de la vente tous les défauts affectant le véhicule et d’attirer l’attention des acheteurs potentiels sur les pièces d’usure dont il conviendrait d’envisager le remplacement. Bien évidemment, il conviendra de conserver la preuve de la délivrance à l’acheteur de ces informations avec dans l’idéal, un document signé par l’acheteur et par le vendeur.
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