CBD, l’arrivée sur le marché de ce produit a priori légal a amené de nombreux consommateurs à revoir leurs habitudes de consommation. Mais attention, contrairement au discours de nombreux marchands, le CBD au volant peut poser problème en cas de contrôle routier et entrainer un retrait de permis. Les explications et les conseils de Maître Jean-Baptiste le Dall, Avocat, Président de la Commission ouverte Droit routier du Barreau de Paris.
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Le CBD ou le cannabidiol c’est quoi ?
La question de la légalité du CBD a connu récemment de nombreux rebondissements. On parle du CBD comme l’équivalent pour le cannabis d’une bière sans alcool : le goût mais sans trace dans l’organisme de substances illégales
Le CBD est une molécule faisant partie de la famille des cannabinoïdes. Le THC est lui une molécule provenant du cannabis, mais les effets psychoactifs du THC sont bien plus importants que le CBD. La consommation de CBD va entraîner la présence de traces extrêmement faibles de THC et pose inévitablement la question de la légalité de conduite…
Mais avant même les interrogations liées à d’éventuelles poursuites pour conduite après usage de stupéfiants, va se poser la question de la légalité de la consommation et de la commercialisation du CBD sous les différentes formes qu’il peut prendre.
Le CBD et la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)
Le 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) avec l’affaire C-663/18, dite Kanavape ouvre le bal de ce qui va devenir un feuilleton judiciaire qui n’a toujours pas pris fin aujourd’hui.
La Cour était saisie d’une question préjudicielle émanant de la Cour d’Appel d’Aix en Provence portant sur la conformité au droit de l’Union européenne de l’article 1er de l’arrêté du 22 août 1990 qui limite la culture, l’importation et l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante et interdit de ce fait l’importation et la commercialisation d’e-liquide pour cigarette électronique contenant de l’huile de cannabidiol (CBD) obtenue à partir de plantes entières de chanvre.
Dans cet arrêt, la CJUE considère qu’en l’état des connaissances scientifiques et sur la base des conventions internationales en vigueur, l’huile de CBD ne constitue pas un produit stupéfiant. Elle en déduit que les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises sont applicables à ce produit et qu’une mesure nationale qui interdit la commercialisation du CBD issue de la plante entière constitue une entrave à la libre circulation.
Elle précise cependant qu’une telle mesure peut être justifiée par un objectif de protection de la santé publique sous réserve qu’elle soit nécessaire et proportionnée.
La CJUE rappelle ensuite qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière des données scientifiques disponibles, si des effets nocifs pour la santé humaine pourraient être liés à l’utilisation du CBD, justifiant l’application d’un principe de précaution et si les mesures prises sont propres à garantir l’objectif de protection de la santé publique.
Le CBD est légal en France sous certaines conditions :
En ce qui concerne la culture, la plante de chanvre doit avoir une teneur en THC qui n’est pas supérieure à 0,3% (contre 0.2% auparavant), en cohérence avec les règles relevant de la Politique Agricole Commune qui entreront en vigueur au 1er janvier 2023.
Juin 2021 : le CBD passe l’étape de la Cour de cassation
La Cour de cassation a, en effet, déjà eu à se pencher sur le CBD
La chambre criminelle a ainsi pu expliquer : qu’il « résulte des articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne CJUE, arrêt du 19 novembre 2020, B S et C A [Commercialisation du cannabidiol (CBD)], C-663/18), qu’ils s’opposent à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du cannabidiol (CBD) légalement produit dans un autre État membre, lorsqu’il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines, à moins que cette réglementation soit propre à garantir la réalisation de l’objectif de la protection de la santé publique et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint. Une cour d’appel, qui constate que les substances saisies contiennent, à l’exclusion de produits classés comme stupéfiants, du cannabidiol, peu important qu’il ait été extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines, doit rechercher, avant de se déterminer sur l’élément matériel de l’infraction à la législation, si celles-ci n’ont pas été légalement produites dans un autre Etat membre »
Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 juin 2021, 20-84212
Avec cet arrêt, vendeurs et consommateurs de CBD ont pu, un temps, penser que la commercialisation de ce produit ne poserait plus réellement de difficulté au niveau juridique. C’était sans compter un arrêté du 3 décembre 2021 venant interdire la vente de la fleur et de feuilles brutes sous toute leurs formes.
30 décembre 2021 : plus de commercialisation de la fleur ou des feuilles brutes
I. – En application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique, sont autorisées la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis sativa L., dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0,30 % et qui sont inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France. La détermination de la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol des variétés précitées et la prise d’échantillons en vue de cette détermination sont effectuées selon la méthode prévue en annexe ;
Les fleurs et les feuilles sont produites à partir de plantes issues de semences certifiées. La vente de plants et la pratique du bouturage sont interdites.
Seuls des agriculteurs actifs au sens de la réglementation européenne et nationale en vigueur peuvent cultiver des fleurs et des feuilles de chanvre.
II. – Les fleurs et les feuilles des variétés mentionnées au I ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d’extraits de chanvre. Sont notamment interdites la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation.
Dans la pratique, et en l’état ce texte marque un réel coup d’arrêt au CBD en France, tout du moins pour ce qui est de la production, l’activité autour du CBD pouvant difficilement se concevoir sans la fleur et les feuilles.
7 janvier 2022 : le CBD devant le Conseil constitutionnel
C’est au début de l’année 2022 que la Conseil constitutionnel vient redonner espoir aux amateurs de CBD encore sous le choc de l’arrêté du 30 décembre 2021.
Le Conseil Constitutionnel avait été saisi le 13 octobre 2021 par le Conseil d’État (décision n° 455024 du 8 octobre 2021), dans le cadre d’une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel a estimé que les produits à base de CBD, y compris la fleur, n’entraient pas dans le champ de cette définition. La notion de stupéfiants désigne, selon les sages de la rue Montpensier, des substances psychotropes qui se caractérisent par un « risque de dépendance » et des « effets nocifs pour la santé ».
Les feuilles, les fleurs, les résines et produits dérivés du cannabis dont la teneur en THC dépasse 0,3% sont, par contre, considérés comme des stupéfiants
La suspension de l’arrêté du 30 décembre 2021 par le Conseil d’Etat
Quelques jours après le Conseil constitutionnel, c’est au tour du Conseil d’Etat de se pencher sur le cannabidiol avec la procédure de référé engagée par les professionnels à l’encontre de l’arrêté du 30 décembre 2021
Conseil d’État 460055, 24 janvier 2022, Décision n° 460055
Saisi par des professionnels du secteur, le juge des référés du Conseil d’Etat va suspendre à titre provisoire l’interdiction faite par l’arrêté du 30 décembre de e commercialiser à l’état brut des fleurs et feuilles de certaines variétés de cannabis si leur teneur en THC est inférieure à 0,3 %. Le juge des référés a souligné dans sa décision que ce seuil, en dessous duquel les produits sont dépourvus de propriétés stupéfiantes, est celui que retient la réglementation pour autoriser la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale de certaines variétés de cannabis.
Pour le juge des référés du Conseil d’Etat, il existe un doute sérieux sur cette mesure d’interdiction générale et absolue en raison de son caractère disproportionné
Dans son communiqué de presse, le Conseil d’Etat souligne qu’ « il n’apparaît pas, au terme de l’instruction contradictoire et des échanges qui ont eu lieu lors de l’audience publique, que les fleurs et feuilles de cannabis sativa L. dont la teneur en THC est inférieure à 0,3 % présenteraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction totale et absolue : ce seuil est précisément celui retenu par l’arrêté contesté lui-même pour caractériser les plantes de cannabis autorisées à la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle. Par ailleurs, il n’est pas démontré qu’il serait impossible de contrôler cette teneur pour les fleurs et les feuilles, alors même que des moyens de contrôle sont détaillés, pour l’ensemble de la plante, à l’annexe de l’arrêté. »
En attendant que le Conseil d’Etat se prononce sur le fond de la question de la légalité de l’arrêté du 30 décembre 2021, le juge des référés a donc suspendu à titre provisoire l’interdiction faite par ce texte. La réponse intervient en toute fin d’année 2022.
Arrêt du Conseil d’Etat du 29 décembre 2022 : pas possible de considérer le CBD comme un produit stupéfiant
Le 29 décembre 2022 le Conseil d’Etat annule l’arrêté du 30 décembre 2021 qui interdisait, de manière absolue, la vente aux particuliers des fleurs et des feuilles de cannabis.
La position du Conseil d’Etat n’aura pas véritablement surpris les observateurs compte tenu des précédentes décisions envisagées ci-avant et du fait que l’arrêté avait déjà été suspendu par le juge des référés.
La rédaction de l’arrêt « Confédération des buralistes et autres » rendu le 29 décembre 2022 n’en demeure pas moins extrêmement intéressante et permet de comprendre le raisonnement du Conseil d’Etat qui s’appuie sur des éléments scientifiques très factuels :
Dès lors que le cannabis est inscrit sur la liste des substances stupéfiantes, sans distinction entre variétés, par l’arrêté du 22 février 1990 pris en application de l’article L. 5132-7 du code de la santé publique, le Premier ministre pouvait, sur le fondement de l’article L. 5132-8 de ce code, préciser, par le II de l’article R. 5132-86, les conditions de culture, d’importation, d’exportation et d’utilisation de variétés de cannabis » dépourvues de propriétés stupéfiantes « . A ce titre, il ressort des pièces des dossiers que si le cannabidiol et le delta-9-tétrahydrocannabinol sont deux des principaux cannabinoïdes végétaux essentiellement concentrés dans les fleurs et les feuilles de la plante de Cannabis sativa L., également appelée cannabis ou chanvre, leur teneur respective varie fortement selon les variétés de cette plante. En outre, il en ressort également qu’en l’état des données de la science, si le cannabidiol a des propriétés décontractantes et relaxantes ainsi que des effets anticonvulsivants, il ne présente pas de propriétés psychotropes et il ne comporte pas les mêmes effets indésirables que le delta-9-tétrahydrocannabinol, identifié comme le principal composant psychoactif du cannabis susceptible notamment de faire naître un effet de dépendance. Il en résulte que des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes peuvent être distinguées en raison de leur faible teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol.
Il ressort des pièces des dossiers que les risques pour la santé dépendent des quantités de delta-9-tétrahydrocannabinol effectivement ingérées en fonction des produits consommés et des modes de consommation. Il ne ressort en revanche pas des pièces des dossiers que, en l’état des données de la science, les autres molécules présentes dans les fleurs et feuilles de cannabis, notamment le cannabidiol, puissent être regardées comme revêtant une nocivité particulière. Si le taux de 0,30 % de delta-9-tétrahydrocannabinol n’est pas un seuil d’innocuité, il ne ressort d’aucune pièce versée aux dossiers que les fleurs et feuilles de variétés de cannabis présentant une teneur en delta-9-tetrahydrocannabinol inférieure à 0,30 % présenteraient des risques pour la santé publique justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur commercialisation et la restriction de leur récolte, importation et commercialisation à des fins de production industrielle d’extraits de chanvre.
Décisions n°444887, 455024, 460291, 460297, 460298, 460324, 460352, 460374, 460379, 461908, 461910, 461911, 461912, 461957, 461975 du 29 décembre 2022
La lecture du Communiqué de presse mis en ligne par le Conseil d’Etat est encore plus instructive du fait sa clarté:
Les données scientifiques avancées par les parties ont montré que le CBD a des propriétés décontractantes et relaxantes et des effets anticonvulsivants, mais n’a pas d’effet psychotrope et ne provoque pas de dépendance, à la différence du THC. Il existe ainsi des variétés de cannabis, celles qui ont un faible taux de THC, qui ne peuvent pas être considérés comme des produits stupéfiants
CBD : Annulation de l’arrêté interdisant la vente des fleurs et feuilles de cannabis sans propriétés stupéfiantes
Ces derniers mots ne manqueront d’être utilisés par les avocats en charge de la défense de conducteurs poursuivis pour avoir conduit après avoir consommé du CBD : une variété de cannabis qui a un faible taux de THC qui ne peut pas être considéré comme un produit stupéfiant !
La défense pourra faire résonner les mots du Conseil d’Etat avec ceux de la Cour de Justice de l’Union Européenne : « le CBD en cause au principal ne constitue pas un stupéfiant, au sens de la convention unique ».
La question de la légalité de la conduite après usage de CBD n’est toutefois pas encore définitivement tranchée puisque la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur la question.
Positif au THC en cas de consommation de CBD ?
L’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route (et abrogeant l’arrêté du 5 septembre 2001 modifié fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route) impose des seuils de détection assez bas notamment en matière de THC (un taux minimal de 1 nanogramme de 9-tétrahydrocannabinol (THC) par millilitre de salive ou de sang) que les laboratoires en charge de l’examen des prélèvements peuvent choisirent d’ignorer dans le sens où ils peuvent indiquer une positivité en dessous du seuil minimal exigé par les autorités.
Le prélèvement salivaire effectué à la suite d’un dépistage opéré dans le cadre d’un contrôle routier peut donc parfaitement revenir positif au THC alors que ces traces très faibles sont uniquement liées à la consommation de CBD.
Comment se défendre en cas de poursuites pour conduite après usage de stupéfiants ?
Premier conseil : réservez-vous la possibilité de solliciter une contre-expertise lors du contrôle. En d’autres termes, optez pour le prélèvement sanguin en plus du prélèvement salivaire.
Deuxième conseil : conservez les factures ou traces d’achat de produits à base de CBD.
Troisième conseil : demandez à votre avocat de vous dirigez vers un laboratoire capable de prouver que la présence de traces de THC provient en réalité de l’absorption ou de la consommation de produits à base de CBD.
Si les analyses toxicologiques permettent de démontrer que les traces de produits stupéfiants relevés à l’encontre du conducteur proviennent en réalité de la consommation de CBD, le conducteur poursuivi pour conduite après usage de stupéfiants et son avocat devront encore ferrailler devant le juge dans le but d’obtenir une relaxe.
Même avec l’arrêt du Conseil d’Etat du 29 décembre 2022, le parquet à l’origine des poursuites pourrait toujours soutenir que s’il est parfaitement légal de se procurer du CBD et d’en consommer, la conduite après la consommation de produits à base de cannabidiol n’est pas forcément légale comme en présence de consommation de produits alcoolisés…
Le consommateur de CBD poursuivi pour conduite après usage de stupéfiants devra pour sa part rappeler qu’en l’état actuel de la jurisprudence, le cannabidiol n’est pas considéré comme un produit stupéfiant : « Il s’ensuit que le CBD en cause au principal ne constitue pas un stupéfiant, au sens de la convention unique » (CJUE, Affaire C-663/18, dite Kanavape, 19 novembre 2020) et c’est encore ce que vient de confirmer le Conseil d’Etat en décembre 2022 !
Il sera également important de rappeler que la plupart des consommateurs de CBD pensent pouvoir conduire en toute légalité. De nombreux vendeurs de CBD n’hésitent, d’ailleurs pas à expliquer à leurs clients qu’avec les produits issus du cannabidiol, la conduite n’est plus un problème…
En attendant une jurisprudence claire sur ce point, il est en réalité bien difficile d’avancer un tel argument de vente et on ne pourra que conseiller à un consommateur de CBD confronté à des poursuites pour conduite après usage de stupéfiants de se rapprocher d’un avocat maitrisant ces problématiques…
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2022 LE DALL AVOCATS
Droit automobile – Droit des mobilités –
Image : Produits CBD Pixabay
Image : kit dépistage Drugwipe Zapacit, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons