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Délit routier : la RS3 au nom de la société pour éviter la confiscation du véhicule ? Toujours une bonne idée en 2024 ? Cass. Crim., 4 septembre 2024 n° 23-81110

Délit routier : la RS3 au nom de la société pour éviter la confiscation du véhicule ? Toujours une bonne idée en 2024 ? Cass. Crim., 4 septembre 2024 n° 23-81110

confiscation voiture société
Audi, BMW ou Mercedes AMG des blasons souvent présents à la barre du tribunal correctionnel…

Confiscation du véhicule : une peine extrêmement sévère !

Pour le condamné la confiscation constitue évidemment une peine extrêmement sévère, et ce d’autant plus si la valeur de ce véhicule est élevée. On rappellera que contrairement à l’immobilisation, la confiscation est définitive : le condamné ne revoit plus son véhicule et ne reçoit aucune indemnisation de la part de l’État.

Même si la question du caractère proportionné de la sanction devra faire débat devant la juridiction, le droit ne fait pas de différence lorsque l’on parle de confiscation entre un véhicule en fin de vie ne valant plus que quelques centaines d’euros et un véhicule flambant neuf d’une valeur de plusieurs dizaines de milliers d’euros…

La confiscation du véhicule : en présence de quelles infractions ?

La question a déjà été traitée en ces lieux.

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On pourra constater à la lecture de cet article que les peines de confiscation sont en réalité extrêmement fréquentes dans le Code de la route.

Le législateur a même prévu des cas de confiscation obligatoires, notamment en matière de récidive de délits routiers.

On rassurera toutefois le lecteur en précisant que le législateur a prévu la possibilité pour le magistrat, même en présence d’une confiscation dite obligatoire de ne pas prononcer cette sanction en rendant une décision motivée à cet effet.

Exemple en matière de conduite après usage de stupéfiants en état de récidive légale :

I.-Toute personne coupable, en état de récidive au sens de l’article 132-10 du code pénal, de l’une des infractions prévues aux articles L. 235-1 et L. 235-3 du présent code encourt également les peines complémentaires suivantes :

1° La confiscation obligatoire du véhicule dont le prévenu s’est servi pour commettre l’infraction, s’il en est propriétaire. La juridiction peut toutefois ne pas prononcer cette peine, par une décision spécialement motivée ;

Article L235-4 du Code de la route

Cette porte de sortie juridique laissera donc un espoir aux conducteurs confrontés à cette problématique. La question de la confiscation deviendra à l’évidence (et ce d’autant plus si le véhicule est immobilisé) un des points d’attention majeurs de la préparation de l’audience.

Confiscation prononçable uniquement à l’encontre du véhicule appartenant au condamné

Les textes ne prévoient pas la possibilité pour une juridiction de prononcer la confiscation d’un véhicule qui n’appartiendrait pas au conducteur condamné. Celui qui prête son véhicule à un ami ne devrait donc pas, en théorie, du moins être inquiété quant au sort de sa voiture en cas de commission d’un délit routier à son volant. De même, la société dont le salarié aurait commis une infraction grave au Code de la route au volant d’un véhicule de service ne verra pas son bien confisqué par la justice.

Confiscation de véhicules de tiers : des précédents

La jurisprudence, y compris celle de la chambre criminelle de la Cour de cassation a permis, à de rares occasions il est vrai, de constater que des magistrats pouvaient dans des hypothèses particulières confisquer un véhicule n’appartenant pas au condamné.

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Une forme de complicité perçue comme une possession de mauvaise foi

Jusqu’il y a peu, les arrêts de Cour de cassation montrant la possibilité de confisquer le véhicule d’un tiers s’appuyaient sur une certaine forme de mauvaise foi du propriétaire. Dans les quelques arrêts rendus par la Cour de cassation sur cette question, les propriétaires du véhicule qui confiaient en toute connaissance de cause leurs biens à un conducteur alcoolisé ou circulant après avoir consommé des stupéfiants, ou non titulaire d’un permis de conduire par exemple étaient perçus par des juridictions comme propriétaires de mauvaise foi.

Cette possession de mauvaise foi leur interdisait de venir revendiquer à la barre la propriété du véhicule.  

Une nouvelle perception de la notion de bonne foi

Si la mauvaise foi interdit aux propriétaires véritables d’un véhicule de venir en revendiquer devant la juridiction la propriété en cas de risque de confiscation, la jurisprudence a récemment fait évoluer la notion de propriété de bonne foi.

Jusqu’à présent la propriété de mauvaise foi renvoyait à une certaine forme de complicité, avec la connaissance des infractions qui allaient ou risquaient d’être commises par le conducteur du véhicule prêté.

Depuis un arrêt du 28 juin 2023 la chambre criminelle de la Cour de cassation a fait évoluer cette notion de propriété de bonne foi (Crim., 28 juin 2023, pourvoi n° 22-85.091, publié au Bulletin). Désormais cette notion s’apprécie au regard de la perception qu’aura le propriétaire sur la réalité de droit qu’il détient sur le véhicule.

En d’autres termes, le titulaire du certificat d’immatriculation qui a bien conscience qu’en réalité le véhicule ne lui appartient pas pourra se soir confisquer son véhicule. On comprend que sont désormais dans le viseur de la justice les « hommes de paille », les prête-noms ou sociétés-écrans qui ne sont propriétaires du bien que sur le papier.

Avec cette nouvelle interprétation de la notion de bonne foi, la chambre criminelle entend à la fois sanctionner les propriétaires réels tout en préservant les droits des propriétaires de bonne foi.

Celui qui est propriétaire de mauvaise foi qui sait très bien que le bien ne lui appartient pas, ne sera ainsi aucunement pénalisé par la confiscation du véhicule puisque, en réalité, ce véhicule ne lui appartient pas.

L’arrêt du 4 septembre 2024 rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le tribunal correctionnel a condamné M. [F] [J] du chef de refus d’obtempérer aggravé à trois mois d’emprisonnement avec sursis, la suspension de son permis de conduire et a ordonné la confiscation du véhicule Audi RS3 appartenant à la société [1] qu’il conduisait au moment des faits.

3. La société [1], dont les co-dirigeants sont MM. [V] et [F] [J], loue le véhicule litigieux à la société [2], gérée par M. [F] [J].

4. Par jugement du 11 mars 2022, le tribunal correctionnel a rejeté la requête par laquelle la société [1] a sollicité la mainlevée de la mesure de confiscation ordonnée, sur le fondement de l’article 710 du code de procédure pénale.

5. La société [1] a relevé appel de la décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

6. Le grief n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté la requête en relèvement formée par M. [V] [J], son représentant légal, et tendant à ce que soit prononcée la mainlevée de la mesure de confiscation du véhicule Audi RS3 immatriculée [Immatriculation 3] ordonnée par le jugement du tribunal correctionnel de Brest du 16 mars 2021, alors :

« 2°/ que la mauvaise foi d’une personne morale, tiers propriétaire d’un bien confisqué, ne saurait être exclusivement déduite de son seul lien avec la personne physique condamnée et n’est caractérisée que lorsqu’il est établi que son existence même a pour objet de faire écran entre l’auteur de l’infraction et son patrimoine ; qu’en l’espèce, en énonçant que l’auteur de l’infraction était non seulement gérant de la société bénéficiaire de la location mais également co-gérant de la société propriétaire du véhicule loué qu’il pouvait donc engager sans restriction de sorte que cette dernière société avait nécessairement connaissance des faits délictueux commis par un de ses gérants et ne pouvait donc être regardée comme de bonne foi, la cour d’appel a statué, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi de la personne morale propriétaire du bien confisqué, et partant, privé sa décision de base légale au regard de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 131-21 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 131-21 du code pénal :

8. La Cour de cassation juge que le tiers dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure, qui prétend avoir des droits sur un bien dont la confiscation a été ordonnée sans qu’il ait été partie à la procédure, est recevable à soulever un incident contentieux d’exécution de cette peine devant la juridiction qui l’a prononcée afin de solliciter la restitution du bien lui appartenant, sans que puisse lui être opposée l’autorité de la chose jugée de la décision de confiscation (Crim., 4 novembre 2021, n° 21-80.487). Le tiers est admis dans le cadre de ce recours à critiquer la libre disposition du bien par le condamné et à faire valoir sa bonne foi.

9. La question posée par le moyen porte sur l’appréciation de la bonne foi de la personne morale propriétaire du bien confisqué lorsque, comme en l’espèce, il a servi à commettre l’infraction.

10. Pour y répondre, il convient de déterminer au préalable dans quelles conditions il peut être retenu que le condamné a la libre disposition du bien dont les juges ordonnent la confiscation.

11. Selon l’article 131-21 du code pénal, la peine complémentaire de confiscation est encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an et peut porter sur tout bien meuble ou immeuble appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.

12. C’est la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 qui a institué, à l’alinéa 2 de l’article précité, la possibilité de confisquer au condamné un bien dont il a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, lorsque ledit bien a servi à commettre l’infraction ou était destiné à la commettre.

13. La Cour de cassation retenait sur ce fondement que la libre disposition s’entendait du libre usage du bien, la bonne foi de son propriétaire résidant dans l’ignorance par ce dernier des faits commis par le condamné (Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81.874, Bull. crim. 2014, n° 12).

14. La possibilité de confisquer au condamné un bien dont il a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, a été étendue par le législateur, par la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012, aux confiscations de patrimoine prévues aux alinéas 5 et 6 de l’article précité, puis par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, à la confiscation en valeur de l’alinéa 9 du même article.

15. Il ressort des travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 que cette extension poursuivait l’objectif de lutter contre le recours à des prête-noms ou à des structures sociales, pratique permettant au condamné de ne pas apparaître comme juridiquement propriétaire de biens dont il a la disposition et dont il est le propriétaire économique réel.

16. Interprétant à la lumière de ces travaux les dispositions des alinéas 5, 6 et 9 de l’article 131-21 du code pénal, la Cour de cassation a mis en oeuvre la notion de libre disposition comme propriété économique réelle du condamné sur un bien sous la fausse apparence de la propriété juridique d’un tiers (Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86.979, publié au Bulletin ; Crim., 24 janvier 2024, n° 22-87.468).

17. Par un arrêt rendu le 28 juin 2023, la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette évolution sur la notion de bonne foi, en approuvant la cour d’appel qui, après avoir énoncé les motifs propres à établir que les biens dont elle envisageait la confiscation sur le fondement de l’article 131-21, alinéa 5, du code pénal étaient à la libre disposition du prévenu, pour établir que les tiers propriétaires desdits biens n’étaient pas de bonne foi, retient que ces derniers savaient que le prévenu était le propriétaire économique réel des biens confisqués (Crim., 28 juin 2023, pourvoi n° 22-85.091, publié au Bulletin).

18. Il convient d’infléchir la jurisprudence en retenant que le juge qui envisage de confisquer un bien sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 131-21 du code pénal doit établir que le condamné en a la propriété économique réelle et que le tiers n’est pas de bonne foi, ce qui est établi dès lors qu’il sait ne disposer que d’une propriété juridique apparente.

19. En effet, d’une part, cette position est conforme aux dispositions de l’article 6 de la directive européenne 2014/42/UE du Parlement et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, qui prescrit aux Etats membres de permettre la confiscation de produits ou de biens dont la valeur correspond à celle des produits qui ont été transférés, directement ou indirectement, à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie ou qui ont été acquis par des tiers auprès d’un suspect ou d’une personne poursuivie, au moins dans les cas où ces tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l’acquisition était d’éviter la confiscation.

20. D’autre part, cette évolution permet de mettre fin à la coexistence, au sein même de l’article 131-21 du code pénal, de deux conceptions différentes de la libre disposition et de la bonne foi selon le fondement ou la modalité de la confiscation, là où le législateur n’a pas entendu introduire de distinction.

21. Enfin, le tiers, propriétaire économique réel d’un bien qu’il a mis à la disposition du condamné en connaissance de son utilisation aux fins de commission d’une infraction, est susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée et la confiscation dudit bien prononcée dans son patrimoine au titre de la complicité.

22. En l’espèce, pour rejeter la requête en difficulté d’exécution formée, l’arrêt attaqué énonce que la société [1] ne conteste pas que M. [F] [J] avait la libre disposition du véhicule confisqué, dont il faisait un usage personnel lors de son interpellation.

23. Les juges retiennent que M. [F] [J] est non seulement gérant de la société [2], bénéficiaire de la location, mais également co-gérant, comme son frère M. [V] [J], de la société [1], qu’il peut donc engager sans restriction.

24. Ils concluent que la société [1] a nécessairement connaissance des faits de refus d’obtempérer commis par un de ses gérants et qu’elle ne peut donc être regardée comme de bonne foi.

25. En statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.

26. D’une part, elle n’a pas recherché si M. [F] [J] était le propriétaire économique réel du véhicule confisqué, seule circonstance de nature à caractériser la libre disposition au sens de l’article précité, et qui ne peut résulter du seul fait que le condamné use librement d’un véhicule loué par la société qu’il dirige.

27. D’autre part, n’ayant pas recherché si la société [1] avait connaissance de ce que M. [F] [J] était le propriétaire économique réel du véhicule, elle n’a pas établi que cette société n’était pas de bonne foi.

28. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Rennes, en date du 1er février 2023, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 septembre 2024, n°23-81110

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