Un décret publié discrètement en plein mois d’août vient de supprimer la possibilité pour les conducteurs de faire appel d’un jugement rendu par un tribunal administratif dans le cadre d’un recours à l’encontre d’une décision de retrait de points ou d’invalidation de permis de conduire.
Article initialement publié sur Lamy Axe Droit / 2013
L’Etat français a décidé de faire le ménage dans le contentieux du permis à points. Depuis plusieurs années, la France a choisi d’investir massivement dans une radarisation systématique du réseau routier. Cette politique produit assez logiquement un certain nombre d’avis de contravention et toujours assez logiquement un certain nombre de contestations. La survenance de contestations de la part des conducteurs était d’autant plus prévisible que le système de plus en plus automatisé entraîne nécessairement un nombre élevé de dysfonctionnements que la main de l’homme ne peut plus corriger tout du moins avant un examen par un juge.
Il est évident que la montée en puissance du contentieux lié à la circulation routière a entraîné une charge de travail supplémentaire tant pour les juridictions pénales que pour les juridictions administratives. L’Etat aurait pu prévoir avec la généralisation des radars automatisés et l’avènement des nouvelles politiques de sécurité routière de renforcer les moyens des tribunaux ayant à connaître de ce contentieux. Mais tel n’a pas été le cas.
Pour les juridictions pénales, l’œuvre de désengorgement a été entamée avec l’encouragement des formes de traitement alternatives avec notamment le recours de plus en plus fréquent aux ordonnances pénales et aux audiences de CRPC (Comparution sur Reconnaissance Préalable de culpabilité) permettant un examen des dossiers sensiblement plus rapide que celui qui est permis par les audiences publiques. Demain, d’autres pistes pourront être étudiées, avec notamment une large dépénalisation ou contraventionnalisation du contentieux souhaité par l’actuel Garde des Sceaux.
Pour les juridictions administratives, l’engorgement est depuis longtemps également pointé du doigt. A titre d’exemple, le traitement devant le tribunal administratif de Paris d’un recours à l’encontre d’une décision d’invalidation de permis de conduire (pour défaut de points) pourra prendre trois ans et parfois plus … La faute à trop de dossiers ? Peut-être, mais soyons honnêtes, lorsque la jurisprudence d’une juridiction est fixée, l’analyse de ce type de dossiers s’avère rapide. Toujours est-il que les dossiers de permis de conduire ont toujours été considérés comme responsables du ralentissement du traitement des dossiers. Pour l’instant, la seule véritable tentative engagée pour endiguer le flot de recours devant ces juridictions était, en fait, à mettre au crédit des tribunaux eux-mêmes ou plutôt du Conseil d’Etat qui à coup d’arrêts extrêmement favorables à l’administration a fait largement baisser le taux de réussite des recours engagés à l’encontre des décisions de retrait de points ou d’invalidation de permis de conduire. Parfois la jurisprudence a été un peu aidée, on pense, par exemple, à un amendement du député Eric Ciotti lors du vote de la loi LOPPSI 2 autorisant la communication aux juridictions administratives du Relevé d’Information Intégral. Le Conseil d’Etat venant de déclarer que les mentions contenues dans ce document que l’administration se fabrique elle-même avaient la même force probante que si elles avaient gravées dans le marbre d’un PV, l’administration pouvait à partir de là rapporter nettement plus facilement la preuve de son infaillibilité dans le respect des procédures…
Mais ce n’était sans doute pas encore suffisant, l’Etat choisit donc de trancher dans le vif. Quoi de plus simple que de supprimer le contentieux ? Bien sûr nous ne sommes pas encore dans une république bananière, une telle extrémité n’est pas encore possible. Il convient quand même de conserver un accès à la justice mais point question de trop l’occuper, alors un accès : d’accord mais plus rien après, suppression du droit d’appel.
Pour bien faire les choses, le gouvernement a tout simplement attendu que les conducteurs français partent tous en congés pour faire passer discrètement un aimable décret publié au JO le 15 août…
Le coupable, le voici : le Décret n° 2013-730 du 13 août 2013 (JORF n°0189 du 15 août 2013 page 13960)
Le texte entre en vigueur le 1erjanvier 2014, à partir de cette date fini le double degré de juridiction.
Ce décret n’a, toutefois, pas manqué de retenir l’attention des praticiens et l’Automobile Club des Avocats (ACDA) a dénoncé fermement cette nouvelle violation manifeste des droits des automobilistes
Le Syndicat de la juridiction administrative (SJA) et l’Union syndicale des magistrats administratifs (Usma) se sont associés aux critiques formulées par l’ACDA pour dénoncer un texte mettant en place «une justice à double vitesse». Pour le SJA «Il y a un contentieux de masse considéré comme mineur et des contentieux considérés comme plus nobles».
Il est évident que cette mesure heurte de plein fouet les droits des automobilistes. La faculté d’appel est la garantie d’une justice éclairée, personne ne peut raisonnablement prétendre que toutes les chambres de tous les tribunaux administratifs de France sont infaillibles.
Il est répondu aux défenseurs des automobilistes que le recours au Conseil d’Etat est toujours possible. Mais outre le fait qu’un pourvoi ne saurait constituer un deuxième degré de juridiction offrant au requérant une analyse et une appréciation souveraine des faits par ses juges, l’obstacle majeur qui accompagne le pourvoi réside dans les coûts extrêmement élevés pour le conducteur d’un avocat au Conseil.
Le praticien et le fin juriste ne pourront, eux, que regretter l’assèchement jurisprudentiel et à terme doctrinal de la matière dont l’étude était jusqu’à présent considérablement facilitée par la mise à disposition de nombreux arrêts rendus par les juridictions d’appel.
Mais le fin juriste ne manquera pas, également, de s’interroger sur la pertinence d’une telle suppression au regard de la jurisprudence européenne.
Rappelons, à toutes fins utiles, que l’article 2 du Protocole n° 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre un droit d’appel en matière pénale et que la Cour européenne des droits de l’Homme considère depuis l’arrêt Malige de 1998 que la mesure de retrait de points est bien une peine et non une simple mesure de police administrative comme le défendent les juridictions françaises.
« La sanction de retrait de points résulte (…) de plein droit de la condamnation prononcée par le juge pénal ». « Quant au degré de gravité, la Cour relève que le retrait de points peut entraîner à terme la perte de la validité du permis de conduire. Or il est incontestable que le droit de conduire un véhicule à moteur se révèle de grande utilité pour la vie courante et l’exercice d’une activité professionnelle. La Cour, avec la Commission, en déduit que si la mesure de retrait présente un caractère préventif, elle revêt également un caractère punitif et dissuasif et s’apparente donc à une peine accessoire » (CEDH AFFAIRE MALIGE c. FRANCE (68/1997/852/1059) ARRÊT STRASBOURG 23 septembre 1998).
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