Avec le référé suspension, un conducteur peut, en cas de décision favorable, retrouver rapidement le droit de conduire après une invalidation de son permis de conduire pour solde nul. Parfois assimilé à un permis blanc par le grand public, le référé suspension permet en réalité la reprise du volant ou du guidon le temps de la procédure engagée devant le tribunal administratif. Même si c’est ce que souhaiteraient beaucoup de conducteurs ayant reçu le fameux courrier recommandé 48SI, le référé suspension n’est pas une voie ouverte à n’importe qui. Pour prendre sa décision, le juge des référés examinera plusieurs critères. Les explications de Me Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit, Président de la Commission ouverte Droit routier du Barreau de Paris.
L’invalidation du permis de conduire, le 48SI
La décision d’invalidation du permis de conduire est prise par l’administration lorsque le solde de points affecté au conducteur atteint le zéro, cette décision lui est notifiée par le biais d’un courrier recommandé avec accusé de réception, le fameux courrier 48SI. Un délai de 10 jours est accordé au destinataire de ce courrier pour restituer son titre de conduite. Néanmoins l’interdiction de conduite prend effet immédiatement à la réception du 48SI. Ce n’est pas le seul délai que fait courrir la notification du 48SI puisque que son destinataire pourra dans un délai de deux mois attaquer cette décision d’invalidation devant la juridiction administrative ou former un recours gracieux auprès du Bureau National des Droits à Conduire.
Mais le simple dépôt d’un recours devant le tribunal administratif ne permettra pas au requérant de reprendre la conduite. La procédure engagée devant la juridiction administrative n’est pas en elle-même suspensive. Pour pourvoir conduire en toute légalité, le destinataire d’un courrier 48Si devra envisager une autre procédure : le référé suspension.
Le référé suspension : une procédure d’urgence pour retrouver le droit de conduire
Si le grand public retiendra de cette procédure de référé qu’il s’agit d’une sorte de permis blanc, juridiquement les choses sont légèrement différentes. Avec le référé suspension, il est demandé au juge des référés de suspendre l’exécution de la décision attaquée (en l’occurrence l’invalidation du permis de conduire matérialisée par l’envoi du courrier 48SI) le temps que soit tranchée au fond la question de la légalité de cet acte. En d’autres termes, il est demandé au juge des référés le droit de conduire le temps de la procédure qui prendra, en moyenne, selon les juridictions saisies entre 8 et 24 mois.
C’est ce que précisent les dispositions de l’article L521-1 du Code de justice administrative
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »
La toute première des conditions à remplir lorsque l’on espère obtenir une décision de référé favorable relève donc de l’évidence, mais elle est parfois oubliée (ou plutôt ignorée) de la part de conducteurs profanes sans connaissance particulière en droit : il faut attaquer la décision d’invalidation du permis de conduire devant le tribunal administratif. Difficile, en effet, d’espérer avoir le droit de conduite le temps d’une procédure… qui n’existe pas, si le requérant ou plutôt son conseil ne l’a pas initiée (pour un exemple de ce genre d’oubli, voir Tribunal administratif de Nancy, 1er juillet 2022, n° 2201837).
Mais les véritables critères à remplir si l’on souhaite obtenir une décision de référé positive sont tout simplement à chercher du côté des dispositions de l’article L521-1 du Code de justice administrative : le doute sur la légalité de la décision attaquée et l’urgence.
Un doute sur la légalité de la décision d’invalidation du permis de conduire
Au-delà des prescriptions de l’article L521-1 du Code de justice administrative, le simple bon sens permettra de comprendre la raison d’être de cette première exigence : un magistrat ne va pas donner une autorisation provisoire de conduite le temps d’une procédure qu’il estimerait voué à l’échec.
La question du doute sur la légalité de la décision n’était pas véritablement un obstacle infranchissable il y a quelques années puisque l’administration peinait à rassembler les éléments de preuve pouvant lui permettre de contredire utilement des allégations des conducteurs. Désormais, la tâche de l’administration est beaucoup plus simple avec une informatisation et une automatisation des procédures mais aussi grâce à une jurisprudence de moins en moins en favorable au conducteur.
Pour autant, le Conseil d’Etat est venu rappeler dans un dossier initié par le cabinet, qu’une seule décision de retrait de point potentiellement irrégulière pouvait suffire à faire naitre dans l’esprit du magistrat le doute sur la décision d’invalidation du permis de conduire.
« Considérant, d’autre part, que le moyen tiré de ce que l’intéressé n’a pas bénéficié, lors de la constatation de l’infraction commise le 24 juin 2010, de l’information prévue aux articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité du retrait de points consécutif à cette infraction et, par suite, de la décision constatant la perte de validité du permis pour solde de points nul ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B… est fondé à demander la suspension de l’exécution de la décision du 10 juillet 2015 par laquelle le ministre de l’intérieur a constaté la perte de validité de son permis de conduire pour solde de points nul et lui a enjoint de le restituer »
Conseil d’État, 5ème / 4ème SSR, 12 février 2016, 393236
Dans ce dossier l’évolution de la jurisprudence avait permis à l’administration de porter devant le Conseil d’Etat une ordonnance de référé rendue en faveur de notre client par le tribunal administratif de Grenoble. En l’espèce le client chauffeur routier avait fait l’objet de plusieurs verbalisations par le biais de ce qui était à l’époque une nouveauté : le PVe, le PV électronique. Le Conseil d’Etat a pu, à l’occasion de cette affaire, détailler les modalités d’information du contrevenant en cas de recours au PVE.
Mais cette possibilité de faire naître chez le magistrat le doute sur la légalité de la décision d’invalidation en ne concentrant son argumentation qu’autour d’une seule décision de retrait de points, ne devra pas faire oublier que ce critère sera celui sur lequel les requérants se heurteront le plus souvent. La plupart des dossiers soumis à un avocat par un conducteur confronté à une invalidation de permis de conduire ne permettra pas d’envisager une issue positive, tout simplement parce que l’étude du dossier montrera qu’il n’y a pas de moyen de remettre en cause la légalité de la décision d’invalidation.
Outre ce critère relatif à la légalité de l’invalidation du permis de conduire, le requérant devra également remplir un autre critère celui de l’urgence.
Le référé suspension : la procédure de l’urgence
Le critère de l’urgence devra être perçu à la fois du point de vue de l’intéressé : le permis de conduire lui est-il indispensable notamment d’un point de vue professionnel mais aussi du point de vue des autres usagers : il y-a-t-il urgence à écarter de la route un conducteur trop dangereux pour les autres ? Aussi il sera également possible de considérer que ce sont trois critères à remplir pour espérer obtenir une décision de référé positive : le doute sur la légalité de l’invalidation comme nous l’avons déjà envisagé, la nécessité de détention du permis de conduire et la dangerosité du destinataire du 48SI.
La dangerosité du conducteur
L’appréciation de cette dangerosité supposée est évidemment très subjective. Certains magistrats percevront un danger alors d’autres ne verront pas de problème de sécurité routière. En matière d’invalidation de permis de conduire, il sera néanmoins possible de partir du postulat que la commission récente d’un délit routier privera le conducteur touché par un courrier 48Si de tout espoir devant le juge des référés. Mais, même en présence de simples contraventions, le juge des référés pourra préférer ne pas remettre un ou une conductrice sur la route. On pense, par exemple, à celle ou celui qui aura à son actif trois ou quatre infractions franchissement de feu de signalisation au rouge. Le juge des référés prendra également en compte la rapidité de la diminution du capital de points et sera moins conciliant avec le conducteur ayant perdu son permis en quelques mois qu’avec celui l’ayant perdu après quelques infractions commises sur une dizaine d’années.
L’urgence pour le conducteur
La procédure de référé suspension est une procédure d’urgence, le requérant devra donc démontrer qu’il a impérativement de retrouver rapidement le droit de conduire. La plupart du temps, le juge des référés ne prendra en compte que les contraintes professionnelles.
L’urgence professionnelle : souvent au cœur des débat lors d’un référé suspension
Evidemment les professionnels de la route et du transport n’auront pas véritablement de difficulté à rapporter la preuve de la nécessité pour eux de retrouver très rapidement la possibilité de conduire.
C’est, d’ailleurs, le dossier d’un chauffeur de taxi qui avait permis en 2009 de rouvrir un peu les vannes en matière de référé suspension. Cette procédure de référé suspension existait déjà, mais les magistrats ne faisaient guère droit aux demandes des conducteurs. Le dossier relativement médiatisé de ce chauffeur taxi (accompagné à l’époque par la Commission juridique d’une association d’automobilistes au sein de laquelle œuvrait le cabinet) avait montré un peu la voie. Après cet arrêt du 13 mars 2009, l’obtention d’une décision favorable en matière de référé suspension est devenue moins rare.
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat avait estimé que « l’exécution de la décision du 17 juillet 2008 par laquelle le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a informé le requérant de la perte de validité de son permis de conduire porterait une atteinte grave et immédiate à l’exercice par l’intéressé de sa profession de chauffeur de taxi ; que, dès lors, eu égard aux conséquences qu’aurait l’exécution de cette décision sur l’activité professionnelle et la situation financière de M. A et alors que sa suspension n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, inconciliable avec les exigences de la sécurité routière, la condition d’urgence fixée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative est remplie. »
Conseil d’État, 5ème sous-section, 13 mars 2009, 322303
Sans faire un inventaire à la Prévert, on pourra citer quelques exemples parmi les dossiers instruits par le cabinet.
Le référé suspension une évidence pour les chauffeurs de taxi, les chauffeurs privés, les VTC…
Outre la profession, il sera possible de faire valoir certaines situations particulières, c’est, par exemple, ce qui avait été plaidé devant le tribunal administratif de Melun en présence d’un taxi effectuant une large partie de son chiffre d’affaires avec la clientèle qui lui était envoyée par la CPAM, la caisse primaire d’assurance maladie :
« Pour soutenir que la condition tenant à l’urgence est constituée et demander la suspension de la décision, en date du 5 février 2010, par laquelle le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a procédé à la notification globale de l’ensemble des retraits de ses points, lui a enjoint de restituer son permis de conduire et lui a interdit de conduire, M. X fait valoir que cette décision est de nature à entraîner des conséquences particulièrement graves sur sa situation professionnelle car il est chauffeur de taxi ; qu’il a restitué son permis et ne peut plus en conséquence travailler alors qu’il doit continuer à payer les charges afférentes à sa profession ; qu’en outre la presque totalité de sa clientèle provenant de personnes qui lui sont envoyées par la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne et la caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP, il va perdre cette activité ; que par suite, eu égard aux conséquences que l’exécution de la décision ministérielle a sur sa profession de chauffeur de taxi ainsi que sur sa situation financière et alors que la suspension de ladite décision n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, inconciliable avec les exigences de sécurité routière »
Tribunal administratif de Melun, 22 avril 2010, n° 1001735
Une urgence professionnelle pour les chauffeurs poids lourds, les chauffeurs spécialisés, les chauffeurs livreurs…
Autres professionnels à vivre de la route : les chauffeurs routiers pourront également voir dans le référé suspension l’ultime chance de préserver leurs emplois.
On pourra, par exemple, citer le cas d’un chauffeur routier spécialisé dont la demande avait été examinée par le Tribunal administratif de Grenoble (TA Grenoble, 26 août 2015, n° 1505055).
Comme le juge des référés grenoblois, le Conseil d’Etat avait considéré « qu’il ressort des pièces du dossier que l’exécution de la décision contestée porterait une atteinte grave et immédiate à la situation de M. B… qui exerce la profession de chauffeur routier ; qu’alors que les infractions commises par ce dernier, sur une période de sept ans, ne sont pas telles par leur nature et leur fréquence que des considérations liées à la sécurité routière commanderaient de maintenir le caractère exécutoire de cette décision, la condition d’urgence fixée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative est remplie. »
Conseil d’État, 5ème / 4ème SSR, 12 février 2016, 393236
Sans faire la liste de tous les professionnels de la route, on pourra aussi citer le cas de l’un de nos clients chauffeur livreur installateur dont la demande de référé suspension avait été favorablement accueillie par le tribunal administratif de Versailles (pour un chauffeur livreur technicien installateur au sein de la société Vxxx France, laquelle est spécialisée dans l’assistance respiratoire à domicile, voir TA Versailles, 10 juin 2010, n°1003706).
Parfois, les conducteurs qui saisissent le juge des référés ne sont pas à proprement parler chauffeurs, mais la livraison constitue en réalité une partie importante de leurs activités professionnelles. Tel était, par exemple, le cas de l’un de nos clients propriétaires de deux poissonneries
« Sur l’urgence :
Par les pièces qu’il verse au dossier, M. F X qui gère deux poissonneries dans les Yvelines et doit être présent chaque jour sur plusieurs marchés et se rendre régulièrement à Rungis entre 2 et 6 heures du matin pour réaliser ses achats, justifie de l’intérêt urgent que présente pour lui la possession d’un permis de conduire lui permettant de conduire le véhicule frigorifique qu’il utilise »
TA Versailles, 22 avril 2022, n°2202654
Le référé suspension : bien utile pour des commerciaux privés de permis de conduire
La situation professionnelle d’un conducteur sans cesse sur la route pour rencontrer ces clients pourra amener un juge à considérer que l’urgence est évidente (comme cela avait le cas pour un client représentant multicarte, voir TA Versailles, 26 juillet 2010, n° 1004556 : « qu’il ressort des pièces produites par M. Y et des propos tenus à l’audience que l’intéressé a besoin d’un véhicule pour exercer sa profession de représentant multicarte »)
Parfois, les considérants sont plus nombreux, preuve qu’il a sous doute été utile de dépeindre au magistrat avec soin la réalité de la situation du client et ses contraintes professionnelles spécifiques.
Tel avait été, ainsi, le cas d’un client agent technico-commercial.
Le tribunal administratif de Rouen avait considéré « qu’il exerce ses fonctions auprès d’une clientèle qui est située sur l’ensemble du territoire national ; qu’il effectue, à ce titre, près de 60 000 kilomètres par an ; que le permis de conduire est indispensable à l’exercice de son activité professionnelle ; qu’une lettre de son employeur, en date du 10 janvier 2011, indique qu’il s’expose à une mesure de licenciement s’il ne réussit pas à assurer ses déplacements ; qu’il résulte de l’instruction qu’aucune solution de substitution ne peut lui permettre d’exercer son activité professionnelle sans mettre en péril son contrat de travail ; que M. X a 63 ans et doit prendre sa retraite dans un an ; que ses chances de trouver un emploi sont très faibles compte tenu de son âge ; que les infractions relevées à son encontre – dont deux d’entre elles ont d’ailleurs trait à une conduite sans port de la ceinture de sécurité – ne sanctionnent pas un comportement d’une dangerosité telle qu’elles feraient obstacle à ce que soit remplie, dans les circonstances particulières de l’espèce, la condition d’urgence prescrite par les dispositions précitées du code de justice administrative ; que dès lors, eu égard aux conséquences qu’aurait l’exécution de cette décision sur l’activité professionnelle de M. X et alors que la suspension de l’exécution de cette décision n’est pas inconciliable avec les exigences de la sécurité routière, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie »
Tribunal administratif de Rouen, 24 février 2011, n° 1100327
Référé suspension après l’invalidation d’un permis de conduire : indispensable pour se rendre au travail
On pourra citer le cas de l’un de nos clients travailleur « VSD » devant se rendre sur son lieu de travail à des jours et des horaires pour lesquels aucune possibilité de transport en commun n’existait :
« Considérant, d’une part, que l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ; qu’il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des éléments fournis par le demandeur, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue ; qu’il ressort des pièces produites par M. X que celui-ci exerce la profession d’opérateur dans un laboratoire pharmaceutique situé dans une commune très difficilement accessible par des moyens de transport collectifs et, en outre, très éloignée de son domicile, que son contrat de travail implique sa présence les vendredi, samedi et dimanche, qu’aucune modification temporaire de ses jours de travail n’est possible, qu’il ne peut dès lors assurer ses fonctions sans utiliser un véhicule individuel et que, dans ces conditions, la poursuite de l’exécution de la décision attaquée serait susceptible de provoquer son licenciement ; que, compte tenu de la nature et de la répartition dans le temps des infractions reprochées à l’intéressé, la suspension sollicitée n’est pas inconciliable avec les exigences de la sécurité routière ; qu’ainsi, la condition d’urgence est remplie ; »
Tribunal administratif de Versailles, 26 juillet 2010, n° 1004556
Le référé suspension pour préserver une situation professionnelle en devenir
La plupart du temps le juge des référés s’intéressera aux risques de voir une situation professionnelle définitivement compromise par la perte du permis de conduire. Mais le juge des référés peut également anticiper une situation professionnelle en devenir. Pour ces conducteurs, la construction de la demande de référé suspension et surtout le choix des pièces à produire devant le juge seront différentes.
Ce fut, ainsi, le cas pour une jeune cliente qui sans permis aurait vu s’envoler une belle opportunité professionnelle : « Mme Z X produit une promesse d’embauche datée du jour même que la décision attaquée et une attestation du 12 mai 2010, selon lesquelles l’association agréée d’aide à domicile de personnes âgées Familia envisage de la recruter en CDD à compter du 1er août 2010 en qualité de responsable de secteur sous réserve qu’elle soit détentrice d’un permis de conduire en cours de validité étant donné les déplacements à effectuer notamment chez les différents particuliers bénéficiaires des prestations ; que si en défense, le ministre met en doute le caractère sincère et probant de cette justification, il y a lieu de tenir compte de toutes les attestations de formation produites qui corroborent la réalité du projet professionnel de la requérante dans le domaine des services à la personne »
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 8 juin 2010, n° 1004206
Des considérations extra-professionnelles aussi prises en compte dans le cadre du référé suspension
Dans tous les dossiers précédemment évoqués, c’est essentiellement la contrainte liée aux besoins professionnels qui a amené un juge à faire droit à la demande de suspension de l’exécution de la décision d’invalidation de permis de conduire. Mais dans certaines hypothèses plus rares, des considérations plus personnelles pourront peser lourd dans la balance au moment pour le juge des référés de prendre une décision.
Parmi ces dossiers, le cas d’une jeune femme handicapée mérite l’attention :
« la détention d’un permis de conduire en cours de validité est nécessaire à Melle Y, compte tenu de la grave affection dont elle est atteinte et dont la manifestation rend particulièrement difficile l’usage des transports en commun et les déplacements à pied, pour se rendre au centre d’aide par le travail où elle est employée ; que si le contrat dont elle bénéficie dans ce centre ne l’expose pas aux mêmes obligations et risques de licenciement que ceux résultant du code du travail, elle établit cependant l’importance de la poursuite de son travail dans ce centre tant pour des motifs financiers que pour rompre l’isolement et l’inactivité qui résulterait sans cela de son handicap »
Tribunal administratif de Versailles, 24 octobre 2013, n° 1305832
Les contraintes familiales pourront également être prises en compte par le juge des référés au moment de sa prise de décision, mais en règle générale ces considérations viennent s’ajouter à celles liées à la situation professionnelle du requérant.
On pourra, par exemple, citer le cas d’une cliente « mère isolée (ayant) besoin de revenus et de facilités de transport » (Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 8 juin 2010, n° 1004206) ou encore celui d’un client chauffeur routier précédemment évoqué :
« il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. Y est marié, que son épouse ne travaille pas et qu’ils ont deux jeunes enfants ; que l’activité professionnelle de chauffeur routier spécialisé est la seule source de revenus du ménage, lequel doit également faire face à des remboursements d’emprunts ; qu’il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances très particulières de l’espèce, et même si le comportement de l’intéressé a été fort regrettable, il y a lieu de juger – à titre vraiment exceptionnel- que la condition d’urgence est remplie »
Tribunal administratif de Grenoble, 26 août 2015, n° 1505055
Dans cette affaire qui avait été également portée devant le Conseil d’Etat le rapporteur public avait noté que l’épouse devait accoucher d’un troisième enfant quelques semaine après l’invalidation du permis de conduire
Un besoin impérieux du permis de conduire justifié par des pièces, des pièces et encore des pièces
Au-delà de la profession (le cabinet a pu accompagner de très nombreux professionnels loin de tous être des pros de la route : médecins, paysagistes, accordeurs de piano, conducteurs de travaux, artisans, professeurs de tennis, gérants, ascensoristes …) ce sont souvent les pièces, la documentation qui vont emporter ou non l’adhésion du magistrat.
La situation peut paraître extrêmement problématique pour le professionnel, pour autant le juge des référés peut rester sourd à sa demande, même si le tribunal pourra trancher en sa faveur quelques mois plus tard… Tel avait été le cas d’un client gérant gestionnaire de pizzeria qui avait quand même pu récupérer son permis de conduire (malheureusement deux ans après…)
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 30 juin 2011, n° 1105031 (Référé)
Considérant, d’une part, que M. Y soutient que son permis de conduire est indispensable à son activité de gestionnaire de pizzeria dans la mesure où il doit réapprovisionner fréquemment les stocks, assurer les absences de ses salariés livreurs, récupérer les scooters en panne, gérer la comptabilité et développer la notoriété de son affaire et que, compte tenu de sa situation familiale, il ne peut se permettre de perdre son activité ; que, toutefois, les pièces qu’il produit n’établissent pas que son permis de conduire est indispensable à la poursuite de son activité de gérant ;
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 30 juin 2011, n° 1105031 (Référé)
Considérant que la décision du ministre de l’intérieur constatant l’invalidation du permis de conduire de M. Y récapitule les décisions de retrait de points annulées par le présent jugement ; qu’en vertu des dispositions de l’article L. 223-1 du code de la route, le permis de conduire ne perd sa validité qu’en cas de solde de points nuls ; que par le présent jugement, il est procédé à l’annulation de décisions de retrait de huit points consécutives aux infractions des 29 décembre 2004, 15 janvier 2007, 29 juillet 2010 et 3 août 2010 ; qu’eu égard à cette annulation et à la restitution du point retiré suite à l’infraction du 29 octobre 2007, le solde de points rattaché au permis de conduire de M. Y est redevenu positif ; que, dès lors, la décision ministérielle en date du 1er avril 2011 doit être annulée ;
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 29 juillet 2013, n° 1104486
Le lecteur l’aura compris, l’urgence professionnelle ne suffit, mais de même l’évidente illégalité d’une ou plusieurs décisions de retrait de points ne rend pas, pour autant, évidente l’obtention d’une décision de référé suspension favorable.
Un juge bienveillant qui parfois donne aussi quelques conseils pour la reprise de la conduite
Et pour terminer ce panorama de décisions en matière de référé suspension, je ne résisterai pas à la tentation de ressortir des archives une ordonnance du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui au-delà de la suspension de l’exécution de la décision d’invalidation du permis de conduire avait également donné quelques conseils de conduite à notre cliente :
« Mme X ne présente pas un risque grave pour la sécurité routière ; que l’accompagnement des personnes âgées devra toutefois lui inspirer, si elle reprend le volant, un souci de vigilance accrue quant au respect des limitations de vitesse, cependant qu’elle préférera parler en voiture à sa fille plutôt qu’à son téléphone portable ; qu’il résulte de ce qui précède que la condition d’urgence, au sens des dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, peut en l’espèce être considérée comme remplie »
Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 8 juin 2010, n° 1004206
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