Avec la Question Prioritaire de Constitutionnalité, les juges du Conseil Constitutionnel peuvent désormais vérifier la conformité d’une disposition législative à la Constitution et aux principes à valeur constitutionnelle. C’est ce qu’ils viennent de faite avec les dispositions de l’article L235-1 du Code de la route en matière de conduite après usage de stupéfiants. Pour le Conseil Constitutionnel l’infraction passe haut la main l’examen ! Les explications de Maître Jean-Baptiste le Dall Avocat en Droit routier, Docteur en Droit
Une Décision n° 2011-204 QPC du 09 décembre 2011 stupéfiante !
L’article L. 235-1 du code de la route prévoit que: « Toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur alors qu’il résulte d’une analyse sanguine qu’elle a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants est punie de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende ».
Ces dispositions ont été introduites par la loi n° 2003-87 du 3 février 2003. Aussi surprenant qu’il puisse paraître, avant cette loi, la conduite sous l’influence de stupéfiants ne constituait pas une infraction en elle-même, n’était réprimée que la prise de stupéfiants.
La lecture attentive de cet article L.235-1 permet de comprendre qu’il suffit d’avoir fait usage de produits stupéfiants et non de conduire sous l’influence de ces produits, contrairement à ce que l’on peut lire pour la conduite sous l’influence de l’alcool.
Cette différence sémantique ne va pas sans poser problème notamment en matière de cannabis. L’usage de cette substance laisse, en effet, des traces pendant un certain temps dans l’organisme alors même que l’utilisateur n’est plus sous son influence.
En pratique, la présence de cannabis dans l’organisme est mise en avant par trois marqueurs : THC et 11-OH-THC (principes actifs) et le THC COOCH.
Comme cela est expliqué par les rapports toxicologiques « la présence de THC COOCH témoigne d’une consommation de cannabis. L’absence de THC et 11-OH-THC (principes actifs) indique que cette consommation a eu lieu de nombreuses heures avant le prélèvement et que le sujet n’était pas sous influence de cannabis au moment du prélèvement ».
Cette difficulté, nombreuses sont les juridictions à avoir eu a en connaître. Et la rédaction même du Code de la route a longtemps contribué à entretenir les hésitations sur l’élément constitutif de cette infraction.
La première proposition de loi (ayant donné lieu à la rédaction de l’article L235-1 du Code de la route) loi faisait, en effet, référence à la conduite « sous l’influence » de produits stupéfiants. Mais ce n’est pas le texte qui a été, finalement, adopté, une modification est intervenue à la suite d’un amendement du gouvernement et c’est la conduite « après usage » qui a été réprimée, l’objectif étant d’« éviter d’inutiles débats devant les juridictions » (Dominique Perben, première séance du 8 octobre 2002, Journal officiel Débats Assemblée nationale, 9 octobre 2002, p. 3003).
Le Garde des sceaux s’était, à l’époque, voulu rassurant en expliquant que « le délit n’est constitué que s’il résulte d’une analyse sanguine et que les stupéfiants ne peuvent être détectés dans le sang que pendant quelques heures seulement. Il n’y a donc pas de risque que l’on sanctionne une personne qui aurait fait usage de stupéfiants plusieurs jours avant l’accident (Lucien Lanier, séance du 19 décembre 2002, Journal officiel Débats Sénat, 20 décembre 2002).
La réalité est différente, de nombreux spécialistes expliquent ainsi le cannabis qui est consommé aujourd’hui est sensiblement plus dosé que celui qui pouvait être trouvé dans les années 80 ou 90. Ces produits laisseraient donc des traces dans l’organisme pendant plus longtemps.
Malgré l’intervention du gouvernement, de nombreuses juridictions ont pendant plusieurs années relaxé les automobilistes pour lesquels n’étaient trouvées que de simples traces et n’avaient pas été contrôlés sous l’influence de produits stupéfiants. Outre le bon sens, on peut trouver l’origine de cette clémence dans la rédaction même du Code de la route, puisque le texte d’incrimination figurait dans un chapitre intitulé conduite sous l’influence de (…) stupéfiants.
Cette clémence (je rassure certains lecteurs, elle n’était pas de mise partout, loin de là) a pris fin avec une prise de position sévère de la chambre criminelle de la Cour de cassation : « l’article L. 235-1 du code de la route, même s’il figure au chapitre V dudit code intitulé « conduite sous l’influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants », incrimine le seul fait de conduire un véhicule après avoir fait usage de stupéfiants dès lors que cet usage résulte d’une analyse sanguine » (Cour de cassation, chambre criminelle, 12 mars 2008, Bulletin criminel, n° 61, 07-83476)
Cette position avait été récemment réaffirmée dans un arrêt du 8 juin 2011 (n° de pourvoi 11-81218) :
« Attendu que l’article L. 235-1 du code de la route incrimine le seul fait de conduire un véhicule après avoir fait usage de stupéfiants dès lors que cet usage résulte d’une analyse sanguine ;
Attendu que, pour relaxer le prévenu du chef de conduite d’un véhicule par conducteur ayant fait usage de stupéfiants, l’arrêt retient qu’il résulte d’un consensus national de la société française de toxicologie analytique que la seule présence d’acide tétrahydrocannabinol-carboxylique ( THC-COOH ) dans le sang à un taux inférieur à 20 ng/ml de sang, comme en l’espèce, révèle que l’intéressé a fait usage de cannabis plus de six heures avant le contrôle, ce dont il se déduit qu’il n’était pas sous l’influence du cannabis lors dudit contrôle ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé »
Comme je le notais à l’époque (Lamy Axe droit, septembre 2011) si Toxlab ou un autre laboratoire pouvait déceler une consommation de produits stupéfiants remontant à plusieurs mois, un automobiliste pourrait être condamné pour conduite après usage de cannabis Stupéfiant, non ?
Et je faisais également remarquer que cet arrêt de juin 2011 s’il ne laissait aucun quant à la position de la Cour de cassation nous apportait la preuve d’une courageuse résistance des juges du fond. Mais ce courant de résistance risque d’être mis à mal par cette décision du Conseil constitutionnel.
Les sages de la rue Montpensier devaient se prononcer sur la constitutionnalité de l’article L.235-1 du Code de la route et plus précisément sur l’argumentation d’un automobiliste que soutenait qu’en « ne prévoyant ni taux de substance illicite détectable dans le sang ni durée entre la prise de stupéfiants et la conduite, ces dispositions portaient atteinte au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu’au principe de nécessité des peines »
L’examen de cette Question Prioritaire de Constitutionnalité avait bien entendu retenu l’attention des praticiens (et peut être même, mais je dois l’avouer, j’en suis moins sûr de certains consommateurs). Car si les peines prévues par l’article L.235-1 du Code de la route sont déjà loin d’être anodines, les véritables sanctions se trouvent, en fait, ailleurs, dans le registre des mesures de police administratives : suspension provisoire et perte de 6 poins du permis de conduire…
Coupons court, alors, au suspens : le Conseil constitutionnel botte en touche.
Le Conseil constitutionnel explique que l’article 61-1 de la Constitution lui donne « seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue »
Le Conseil d’Etat se penche, alors, sur la légalité du délit et renvoie au bon vouloir du législateur « il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour réprimer la conduite lorsque le conducteur a fait usage de stupéfiants ». Et comme pour mieux s’en laver les mains, le Conseil n’oublie pas le pouvoir réglementaire auquel il appartient « sous le contrôle du juge compétent, de fixer, en l’état des connaissances scientifiques, médicales et techniques, les seuils minima de détection témoignant de l’usage de stupéfiants
Pour la méconnaissance du principe de légalité des délits, le Conseil constitutionnel se fait agent de la circulation… « circulez, il n’y a rien à voir »
Pour le reste, les sages de la rue Montpensier, adoptent les travers habituels en matière de droit pénal routier (voir par exemple les motivations du Conseil d’Etat pour la QPC liée à l’annulation de plein droit du permis de conduire en cas de récidive d’alcool) : «compte tenu des risques induits par le comportement réprimé, les peines encourues ne sont pas manifestement disproportionnées ».
Cette décision du 9 décembre et celle rendue par la chambre criminelle le 8 juin 2011 semblent ainsi mettre fin à tout espoir de revirement jurisprudentiel en la matière, alors même que la généralisation des tests de dépistage salivaires favorise grandement le nombre de poursuites.
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