Un récent arrêt de la Cour de cassation du 5 juillet 2023, vient reposer avec fermeté ce principe de présomption irréfragable de connaissance des vices cachés par le vendeur professionnel. Les explications de Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en droit
Prise en compte de la bonne ou mauvaise foi pour les vices cachés ?
Sans doute le vocabulaire employé n’y est pas étranger, mais le grand public lorsqu’on lui parlera de vices cachés pensera que ce dispositif ne porte que sur des problèmes qui auront été volontairement dissimulés par un vendeur malveillant.
On connaît tous l’expression « maquillée comme une voiture volée » et effectivement certains professionnels indélicats n’hésitent pas parfois à maquiller ou dissimuler plus ou moins grossièrement des défauts ou des traces d’accident sur un véhicule proposé à la vente.
Mais en réalité, la garantie légale des vices cachés a vocation à protéger l’acheteur qui viendrait à découvrir un grave défaut ou une grave avarie qui n’était pas visible au moment de la vente. Pour une meilleure compréhension de la part des consommateurs, il aurait sans doute été plus pertinent d’utiliser une autre expression avec pourquoi pas l’emploi de termes comme « non apparents », invisibles ou « non visibles »…
Cette nuance est importante, car l’acquéreur malheureux pourra faire jouer cette garantie légale des vices cachés vis-à-vis d’un vendeur de parfaite bonne foi qui n’a aucunement dissimulé de problème au moment de la vente.
Connaissance des vices par le vendeur : quelles conséquences ?
Si le mécanisme de garantie légale des vices cachés a vocation à fonctionner, que le vendeur soit de parfaite bonne foi ou au contraire de mauvaise foi, les conséquences en terme de possibilités de demandes pour l’acheteur insatisfait ne sont pas les mêmes. En présence d’un vendeur de bonne foi n’ayant pas eu connaissance des problèmes affectants le véhicule vendu, le nouveau propriétaire ne pourra lui demander que le remboursement du véhicule et des frais liés à l’immatriculation de celui-ci (pour faire simple car quelques postes de préjudices mineurs peuvent être également indemnisés).
Par contre le vendeur, s’il connaissait les problèmes affectant le véhicule, pourra être condamné à indemniser en plus du remboursement du véhicule d’autres postes de préjudice comme le fait, par exemple, d’avoir dû louer un véhicule de remplacement pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Pas de clause d’exclusion de la garantie légale des vices cachés pour un vendeur connaissant les vices
Parmi les conséquences et pas des moindres de la connaissance des problèmes affectant un véhicule : l’impossibilité d’écarter, la garantie légale des vices cachés.
Il est en effet possible, dans certains cas, de prévoir que la garantie légale des vices cachés ne s’appliquera pas à une vente d’un véhicule ou d’un autre bien.
Mais que pour qu’une telle clause d’exclusion s’applique il faut bien sûr la prévoir spécifiquement. Et surtout une telle clause n’aura pas vocation à s’appliquer au bénéfice d’un vendeur qui connaissait parfaitement les défauts de la chose qu’il vendait. Le vendeur professionnel ne peut donc pas insérer de telles clauses dans ses contrats ou ses bons de commande.
La connaissance des vices du bien vendu impliquera pour le vendeur des conséquences juridiques non négligeables qui se traduiront devant les tribunaux par un alourdissement des condamnations.
Une présomption de connaissance des vices pour le vendeur professionnel
La jurisprudence a posé, depuis de très nombreuses années, un principe presque gravé dans le marbre selon lequel le vendeur professionnel est censé tout connaître du véhicule qu’il propose à la vente. Avec cette présomption de connaissance du vice, il n’est donc pas possible pour le vendeur professionnel de prévoir une clause excluant la garantie légale des vices cachés et en cas de condamnation, le tribunal pourra, en termes d’indemnisation, aller au-delà du simple remboursement du prix versé pour le véhicule.
Et pour le professionnel cette présomption est plus qu’une simple présomption. Le droit parle de présomption irréfragable qui interdit au professionnel de rapporter la preuve contraire…
Une présomption de connaissance du vice par le vendeur professionnel remise en cause
Un avant- projet de réforme du droit des contrats spéciaux pourrait faire bouger les lignes en matière de vices cachés et notamment sur cette question de la présomption de connaissance des défauts du bien par le professionnel.
Le groupe de travail présidé par le professeur Philippe Stoffel-Munck à la manœuvre sur cette réforme du droit des contrats spéciaux a remis son rapport au garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, le 11 avril 2023.
L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux propose l’abandon de cette présomption de connaissance chez le vendeur.
En dépit d’une jurisprudence bien établie, la Commission propose de modifier l’article 1642 du Code civil dont les dispositions n’avaient jamais été retouchées depuis la promulgation du Code en 1804.
L’article 1642 du Code civil serait ainsi rédigé :
« Le vendeur est tenu des vices du bien vendu quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie.
Le vendeur professionnel est présumé, jusqu’à preuve du contraire, connaître ces vices. »
Dans la version commentée de l’avant-projet de réforme, le groupe de travail justifie cette évolution :
« Non-conformité et vices cachés étant englobés dans une même notion de « vice », il a fallu déterminer quel régime juridique appliquer à cette notion : le régime actuel de responsabilité des défauts de conformité, celui de la garantie des vices caché sou un régime hybride ?
La Commission a opté pour la 3ème solution, à savoir reprendre la présomption de connaissance des défauts par le vendeur professionnel, comme c’est le cas aujourd’hui en matière de vices cachés, mais sans retirer aux parties la liberté d’aménager voire d’écarter la garantie, comme c’est le cas aujourd’hui en matière de défauts de conformité.
Le régime prétorien de la garantie des vices cachés, qui pose une présomption irréfragable de connaissance des vices par le vendeur professionnel et l’interdiction de toute clause aménageant la garantie (sauf si l’acheteur est un professionnel de même spécialité), paraît en effet anachronique alors que la responsabilité du fait des produits défectueux bénéficie à tous, que l’acheteur consommateur est protégé par le Code de la consommation et que les articles 1170 (applicable dans tous les contrats) et 1171 du Code civil ou L. 442-1 du Code de commerce fixent déjà des limites raisonnables à la liberté contractuelle. »
Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux – projet commenté p. 34 et suivantes
Présomption de connaissance des vices par le vendeur : une jurisprudence réaffirmée par la Cour de cassation
Dans un arrêt du 5 juillet 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient toutefois réaffirmer cette jurisprudence en reposant clairement le principe d’une présomption irréfragable confortée par une jurisprudence ancienne et pour la première fois semble-t-il confronte cette présomption à la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Dans cette affaire soumise à la chambre commerciale de la Cour de cassation la société vendeuse soutenait :
« 1°/ que méconnaît le droit au procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention la règle de droit national portant une atteinte disproportionnée au droit à la preuve d’une partie ; qu’en retenant en l’espèce que la société (vendeuse) supportait, en sa qualité de vendeur professionnel, une présomption irréfragable de connaissance du vice caché affectant la chose vendue, de sorte à l’empêcher de démontrer qu’elle ignorait l’existence de ce vice, la cour d’appel (aurait) violé l’article 6, § 1, de la Convention, ensemble l’article 9 du code de procédure civile ;
2°/ que la présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice caché de la chose vendue porte une atteinte disproportionnée à son droit à la preuve lorsque l’acquéreur achète le bien pour l’exercice de sa propre activité professionnelle ; qu’en retenant en l’espèce le caractère irréfragable de cette présomption, pour empêcher la société (vendeuse) de démontrer qu’elle ignorait l’existence du vice caché affectant le tracteur, la cour d’appel (aurait) violé l’article 6, § 1, de la Convention, ensemble l’article 9 du code de procédure civile. »
Pour la chambre commerciale, cette présomption irréfragable qui repose sur le vendeur professionnel ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable :
7. Il résulte des articles 1641 et 1646 du code civil que le vendeur, garant à raison des défauts cachés de la chose vendue, n’est tenu qu’à la restitution du prix et à rembourser à l’acquéreur les frais occasionnés par la vente s’il ignorait ces vices.
8. Aux termes de l’article 1645 du code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur.
9. Selon une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation (1re Civ., 21 novembre 1972, pourvoi n° 70-13.898, Bull. 1972, n° 257 ; 2e Civ., 30 mars 2000, pourvoi n° 98-15.286, Bull. 2000, n°57 ; Com., 19 mai 2021, pourvoi n° 19-18.230), il résulte de ce texte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence.
10. Le caractère irréfragable de cette présomption, fondée sur le postulat que le vendeur professionnel connaît ou doit connaître les vices de la chose vendue, qui a pour objet de contraindre ce vendeur, qui possède les compétences lui permettant d’apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse de celle-ci avant la vente, répond à l’objectif légitime de protection de l’acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences, est nécessaire pour parvenir à cet objectif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Cass. Com., 5 juillet 2023, n°22-11621
Dans cette affaire, un exploitant agricole avait commandé auprès d’un vendeur professionnel un tracteur de seconde main avec pose d’un matériel attelé : une déchiqueteuse de bois. Le moteur du tracteur lâche, l’exploitant n’a d’autre choix que de louer un autre tracteur.
Les expertises réalisées sur le bloc moteur permettent de retenir le vice caché avec des désordres antérieurs à la vente.
Les enjeux autour de la présomption de connaissance du vice par le vendeur dans cette affaire portent notamment sur les frais liés à la location du tracteur… Du fait du statut de professionnel de la vente du vendeur, celui-ci est présumé avoir eu connaissance des vices affectant le bloc moteur du tracteur.
11. Après avoir retenu l’existence d’un vice caché affectant le moteur, antérieur à la vente et diminuant l’usage voire rendant le tracteur impropre à sa destination, de nature à justifier la résolution du contrat, l’arrêt retient à bon droit que la société Soetaert, vendeur professionnel, est présumée avoir eu connaissance du vice et qu’il s’agit d’une présomption irréfragable qui joue même lorsque l’acheteur est lui-même un professionnel. Il en déduit exactement que la société AGB a droit, outre la restitution du prix, à l’indemnisation de tous ses dommages ( et notamment « des frais de location du tracteur »)
Avec cet arrêt extrêmement clair, avec le rappel qu’il y est fait sur une jurisprudence « ancienne et constante », la chambre commerciale vient donc rappeler qu’il ne faut peut-être pas enterrer trop vite cette présomption irréfragable de connaissance du vice reposant sur le vendeur professionnel qu’il commercialise du matériel agricole, des voitures, des camions, des deux-roues motorisés ou grille-pain…
On suivra également avec attention la réforme des contrats spéciaux : la possibilité pour le vendeur professionnel de tenter de renverser la présomption de connaissance du vice sera-elle retenue malgré cet arrêt remarqué de la chambre commerciale de la Cour de cassation ? En attendant une éventuelle réforme sur cette question, les vendeurs professionnels devront faire avec cette jurisprudence qui leur est clairement défavorable…
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