Suspension de permis de conduire après un avis de rétention, suffit-il de refuser le courrier recommandé pour pouvoir conduire malgré la décision préfectorale ? Les réponses et les conseils de Me Jean-Baptiste le Dall, Avocat en droit routier, Docteur en Droit.
L’avis de rétention du permis de conduire
Après la constatation d’une infraction grave au Code de la route (un délit routier comme des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, un délit de conduite après usage de stupéfiants ou des faits d’excès de vitesse à partir d’un dépassement de 40 km/h de la vitesse autorisée), le conducteur se verra retirer son permis de conduire par les agents des Forces de l’ordre qui lui remettront un avis de rétention de permis de conduire. La notification de ce document au conducteur lui fait interdiction de conduire pendant une durée de 72 ou 120 h. Au-delà de ce délai, la mesure de rétention cesse de produire ses effets pour laisser la place à une autre mesure : la décision de suspension de permis de conduire prise par le préfet.
La prise de décision de suspension de permis de conduire par le Préfet
En fonction de la nature des faits reprochés au conducteur, le préfet disposera dans la plupart des cas d’un délai de 72 ou 120 h pour prendre sa décision. Ce délai applicable en matière d’urgence est un délai de prise de décision et non pas de notification. Le Code de la route ne prévoit, d’ailleurs, aucun délai en ce qui concerne la notification qui peut, en théorie, être effectuée des semaines ou même des mois après l’infraction.
Une notification de la suspension de permis de conduire par les agents des forces de l’ordre
Il arrive fréquemment que le conducteur à qui le titre de conduite aura été pris par les agents dans le cadre d’un avis de rétention du permis de conduire consécutif à une grave infraction au Code de la route soit convoqué quelques jours après les faits au commissariat ou à la gendarmerie pour une audition. A l’issue de ce rendez-vous, le conducteur peut repartir du commissariat ou de la gendarmerie les mains vides, il peut également se voir remettre une convocation en justice (COPJ) pour une date ultérieure ou encore l’arrêté de suspension de permis de conduire provisoire pris par le Préfet.
Certains conducteurs désireux d’échapper à la suspension préfectorale pourraient être tentés d’éluder le rendez-vous avec les forces de l’ordre. On leur rappellera que les agents savent parfois se montrer insistants (en se rendant, par exemple, directement au domicile de l’intéressé) et que la notification peut être considérée régulière même en l’absence d’une remise du document contre signature.
C’est, par exemple, ce qu’avait pu considérer la Chambre criminelle dans un arrêt du 22 mai 1991. Un conducteur contrôlé en infraction avait décidé d’ignorer une convocation à la gendarmerie, ayant été informé par l’agent du motif du rendez-vous, à savoir la notification de la mesure de suspension de permis de conduire. Pour la Cour de cassation, ce conducteur ne peut pas prévaloir de la non-opposabilité de la décision préfectorale. C’est ce qu’a précisé la chambre criminelle censurant la Cour d’appel d’Orléans qui, elle, estimait que la « notification implique nécessairement la remise à l’intéressé d’une copie de la décision, et ceci notamment pour lui permettre éventuellement d’exercer un recours ». Pour la Cour de cassation, le simple fait que le conducteur ait « été avisé oralement par les services de gendarmerie des motifs de sa convocation » suffit à lui rendre la mesure opposable (Crim., 22 mai 1991, n° 90-86370).
Même si la pratique demeure extrêmement rare, on indiquera à ceux qui ignoreraient les messages téléphoniques des agents que la notification peut même être opérée par le biais d’un affichage en mairie !
Une notification de la suspension de permis de conduire par courrier recommandé avec accusé de réception
Dans la pratique la notification de la mesure préfectorale (arrêté 3F) se fera par voir postale avec l’envoi d’un courrier recommandé avec accusé de réception à l’intéressé. La plupart du temps le pli sera présenté au domicile du conducteur quelques jours après la fin de période de suspension. Alors qu’il peut rapidement devenir délicat d’ignorer le passage à domicile de gendarmes désirant notifier une décision ou remettre une convocation en justice, il est assez simple d’éviter de croiser son facteur et il est encore plus simple de laisser croupir un avis de passage dans sa boîte à lettres.
Quelques recherches sur Internet pourront amener un conducteur sous le coup d’un avis de rétention à se poser la question de la réception du courrier recommandé. Certains sites internet, certains « spécialistes » conseillent aux conducteurs de ne pas prendre ce courrier recommandé, en expliquant que l’absence de notification rendrait la décision inopposable et que la conduite redeviendrait possible en attendant de passer devant le tribunal.
Une notification de la suspension de permis de conduire opposable même en l’absence de réception
De tels conseils sont évidemment en totale contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation !
L’arrêt du 4 juin 2013 est sur cette question totalement limpide. La chambre criminelle se range derrière la position de la Cour d’appel de Versailles qui avait condamné un conducteur ayant peut-être suivi ce genre de conseils pour conduite malgré suspension de son permis de conduire.
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt confirmatif attaqué et des pièces de procédure que, le 25 mars 2011, à la suite d’un contrôle d’imprégnation alcoolique s’étant révélé positif, M. X… a fait l’objet d’une rétention immédiate et conservatoire de son permis de conduire, suivie, le 28 mars 2011, d’une suspension administrative de deux mois, notifiée à domicile par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 mars 2011 ; qu’interpellé, le 19 avril suivant, au volant de son véhicule, il a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de conduite d’un véhicule à moteur malgré suspension administrative du permis de conduire ; qu’il a soutenu que, faute d’avoir reçu notification de la mesure de suspension administrative, les éléments constitutifs de ce délit n’étaient pas réunis ;
Attendu que, pour rejeter cette argumentation et déclarer le prévenu coupable du délit visé à la prévention, l’arrêt retient que M. X…, qui, à l’issue du délai de soixante-douze heures, n’a pas réclamé la restitution de son permis de conduire comme l’y invitait l’avis de rétention qui lui avait été remis conformément aux dispositions des articles R. 224-1 et R. 224-2 du code de la route, et qui n’a pas retiré la lettre recommandée avec accusé de réception prévue par l’article R. 224-4 du même code, soutient vainement que la mesure de suspension administrative du permis de conduire ne lui a pas été notifiée ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs, d’où il résulte que la notification de la décision de suspension du permis de conduire, exigée par l’article L. 224-16 du code de la route, a été réalisée, antérieurement au contrôle, par la présentation de la lettre recommandée avec accusé de réception prévue par l’article R. 224-4 susvisé au domicile de l’intéressé, les griefs allégués au moyen ne sont pas encourus; »
Cass. Crim., 4 juin 2013, n°12-86.877, Publié au bulletin
A lire, également, le commentaire de cet arrêt rédigé par Me Jean-Baptiste le Dall dans la revue spécialisée, la « Jurisprudence Automobile »numéro d’octobre 2013 :
La politique de l’autruche ne sert à rien !
Une jurisprudence qui n’a pas évolué !
On pourra bien sûr trouver des jugements et des arrêts ayant relaxé des conducteurs poursuivis pour des faits de conduite malgré suspension, ces conducteurs soutenant que la décision préfectorale ne leur était pas opposable du fait de l’absence de prise de recommandé. En réalité, dans la plupart de ces dossiers la question de la prise du recommandé est accessoire, la véritable question réside dans l’envoi. Le Ministère public peut-il rapporter la preuve de l’envoi du pli recommandé contenant la mesure de suspension préfectorale ? Si tel n’est pas le cas, la juridiction pourra effectivement considérer qu’il n’y a pas de mensure opposable à l’intéressé…
Les « spécialistes » recommandant aux conducteurs de s’abstenir de prendre le courrier recommandé de notification de suspension préfectorale le font, ainsi, pour deux raisons :
la première : certains ignorent une jurisprudence pourtant claire et limpide de la Cour de cassation ou
la seconde : ils prennent le pari que le Ministère Public ne pourra pas retrouver la preuve de l’envoi de la décision préfectorale. Ce pari s’évère évidemment très risqué, surtout que le risque est encouru par un autre et que la numérisation rend aujourd’hui très simple ce qui était effectivement compliqué pour l’administration il y a une quinzaine d’années.
La conduite malgré suspension : un pari très risqué
Le lecteur pourra se rapporter aux dispositions de l’article L224-16 du Code de la route pour prendre conscience de l’ampleur des sanctions en la matière, mais il sera surtout rappelé qu’en cas d’accident la Compagnie d’assurance ne manquera pas de relever que son assuré n’était plus en possession d’un permis de conduire valide… Le conducteur pourra, alors, en cas notamment de blessures involontaires se retrouver à payer de sa poche l’indemnisation due aux victimes.
Une condamnation pour conduite malgré suspension peut, également, entraîner une invalidation de permis de conduire. Par définition, les conducteurs confrontés à des poursuites pour conduite malgré suspension du permis de conduire sont également menacés par une décision de retrait de points consécutive à l’infraction pour laquelle a été prise la mesure de suspension de permis de conduire. Prenons l’exemple d’un conducteur contrôlé en état d’alcoolémie. Il reprend le volant quelques jours après les faits alors que lui avait été envoyée une décision de suspension de permis de conduire, il se fait à nouveau contrôler. Ce conducteur sera confronté à une perte de 6 points de permis de conduire pour le délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique et une autre perte de 6 points de permis de conduire pour le délit de conduite malgré suspension.
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