Pendant combien de temps peut-on faire jouer la garantie légale des vices cachés après la vente : 5 ans ou 20 ans la jurisprudence se déchirait depuis deux ans sur la question. La Cour de cassation vient de trancher avec quatre arrêts du 21 juillet 2023 : l’action est possible pendant 20 ans. Les explications de Jean-Baptiste le Dall, Avocat à la Cour, Docteur en Droit.
Quel délai pour la garantie légale de vices cachés ?
La jurisprudence se cherche depuis deux ans avec une évolution jurisprudentielle emmenée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Les observateurs suivent depuis de nombreux mois l’évolution de la jurisprudence et attendaient avec impatience une harmonisation de la part de la Cour de cassation avec un ou plusieurs arrêts en chambre mixte.
De quel délai parle-t-on ?
Pour faire simple en matière de vices cachés, le délai pour engager un recours est de deux ans à compter de la découverte du vice. Mais ce premier délai de deux ans est encapsulé dans un second délai courant à compter de la vente. Jusqu’à la prise de position de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en décembre 2021, ce délai de deux ans était encapsulé dans un délai de cinq ans à compter de la vente.
Vices cachés : des dissensions au sein de la Cour de cassation depuis 2021
La première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation retenaient en matière de vices cachés : un délai de de deux ans encapsulé dans un délai de cinq ans à compter de la vente. Tandis que la troisième chambre civile optait depuis 2021 pour un délai de deux ans encapsulé dans un délai de 20 ans… Depuis deux ans, les juridictions du fond ont eu l’occasion de se positionner sur ce délai de 5 ans ou de 20 ans. La Cour d’appel de Paris avait notamment retenu elle aussi un délai de 20 ans.
Cass. 21 juillet 2023 : La Cour de cassation consacre le délai de 20 ans
Par quatre arrêts rendus ce 21 juillet 2023, la Cour de cassation tranche la question et impose le principe d’un délai de mise en œuvre de la garantie légale des vices cachés de deux ans à compter de la découverte du vice encapsulé dans un délai de… 20 ans à compter de la vente.
Parmi ces quatre arrêts un rendu le 21 juillet, deux arrêts concernaient des affaires concernant spécifiquement la vente de véhicules et plus précisément la vente de véhicules d’occasion.
Cour de cassation, 21 juillet 2023, Pourvoi n° 21-19.936
Dans cette affaire un véhicule de marque Hyundai acheté d’occasion tombe en panne. Une expertise judiciaire conclue à un défaut de fabrication. L’acquéreur agit en réparation contre le fabricant, sur le fondement de la garantie des vices cachés. Les juges du fond condamnent le fabricant à indemniser le nouveau propriétaire. Le fabricant forme un pourvoi en cassation en soutenant que l’action en garantie était prescrite.
Cour de cassation, 21 juillet 2023, Pourvoi n° 21-17.789
Dans cette autre affaire, un véhicule de manque Nissan lui aussi acheté d’occasion tombe également en panne. Là encore l’expertise judiciaire conclut à un défaut de fabrication. Dans cette affaire l’acquéreur a agi à la fois contre le vendeur du véhicule d’occasion, le fabricant et son assureur. Les juges estiment que l’action de l’acquéreur contre le fabricant était prescrite et condamnent le vendeur à indemniser l’acquéreur mais surtout condamnent le fabricant à garantir intégralement le revendeur. Là encore le fabricant forme un pourvoi en cassation.
Vices cachés : la position de la Cour de cassation côté délais
La Cour de cassation prend le temps de la pédagogie avec une longue motivation
« Selon l’article 1648, alinéa 1er, du code civil, l’action en garantie des vices cachés doit être intentée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
7. Avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la Cour de cassation jugeait que l’action en garantie légale des vices cachés, qui devait être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, devait également être mise en œuvre dans le délai de prescription extinctive de droit commun, dont le point de départ n’était pas légalement fixé et qu’elle a fixé au jour de la vente (Com., 27 novembre 2001, pourvoi n° 99-13.428, Bull. 2001, IV n° 187 ; 3e Civ., 16 novembre 2005, pourvoi n° 04-10.824, Bull. 2005, III n° 222).
8. Dans les contrats de vente conclus entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants, cette prescription était celle résultant de l’article L. 110-4, I, du code de commerce, qui prévoyait une prescription de dix ans. Dans les contrats de vente civile, cette prescription était celle prévue à l’article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008 précitée, d’une durée de trente ans.
9. Cependant, la loi du 17 juin 2008, qui a réduit à cinq ans le délai de prescription extinctive de droit commun des actions personnelles ou mobilières désormais prévu à l’article 2224 du code civil, a fixé le point de départ de ce délai au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
10. Elle a de même réduit à cinq ans le délai de prescription de l’article L. 110-4, I, du code de commerce afin de l’harmoniser avec celui de l’article 2224 du code civil, mais sans en préciser le point de départ.
11. Elle a également introduit à l’article 2232, alinéa premier, du code civil une disposition nouvelle selon laquelle le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
12. Ce délai constitue le délai-butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées (Ass. plén., 17 mai 2023, pourvoi n° 20-20.559, publié).
13. Par ailleurs, il a été jugé que le point de départ du délai de prescription de l’article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut que résulter du droit commun de l’article 2224 du code civil (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036 ; 3e Civ., 19 mars 2020, pourvoi n° 19-13.459 ; 1re Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.031 ; 2e Civ., 10 mars 2022, pourvoi n° 20-16.237; Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811, publié).
14. Il s’ensuit que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l’article 1648, alinéa premier, du code civil, à savoir la découverte du vice.
15. Dès lors, les délais de prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l’action en garantie des vices cachés.
16. Il en résulte que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l’article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.
17. L’article 2232 du code civil ayant pour effet, dans les ventes commerciales ou mixtes, d’allonger de dix à vingt ans le délai pendant lequel la garantie des vices cachés peut être mise en uvre, le délai-butoir prévu par ce texte relève, pour son application dans le temps, des dispositions transitoires énoncées à l’article 26, I, de la loi du 17 juin 2008, selon lequel les dispositions qui allongent la durée d’une prescription s’appliquent lorsque le délai de prescription n’était pas expiré à la date de son entrée en vigueur et il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.
18. Il en résulte que ce délai-butoir est applicable aux ventes conclues avant l’entrée en vigueur de cette loi, si le délai de prescription décennal antérieur n’était pas expiré à cette date, compte étant alors tenu du délai déjà écoulé depuis celle du contrat conclu par la partie recherchée en garantie.
19. En ce qui concerne les ventes civiles, le même dispositif ayant pour effet de réduire de trente à vingt ans le délai de mise en œuvre de l’action en garantie des vices cachés, le délai-butoir de l’article 2232 du code civil relève, pour son application dans le temps, des dispositions de l’article 26, II, de la loi du 17 juin 2008, et est dès lors applicable à compter du jour de l’entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Cour de cassation, 21 juillet 2023, Pourvoi n° 21-19.936
Une évolution jurisprudentielle heureuse allant dans le sens d’une meilleure protection des consommateurs
On ne pourra que se féliciter de cette évolution, jurisprudentielle à une époque où en matière automobile de plus en plus de défauts de conception ne se révèlent que six ou sept ans après la sortie des chaînes du véhicule.
Il devenait également assez paradoxal de voir des constructeurs proposer des garanties commerciales extrêmement longues jusqu’à 10 ans par exemple cohabitant avec une durée de protection légale finalement assez courte de 5 ans.
Dans la pratique, dans la grande majorité des dossiers, cette évolution permettra essentiellement de mettre en cause les constructeurs pour une problématique de vices cachés liés un vice de conception. En effet, l’allongement du délai à 20 ans ne change rien quant à la problématique d’antériorité du vice. Il reviendra toujours aux demandeurs de prouver que le vice était bien antérieur à la vente, voire était à l’état de germe antérieurement à la vente…
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